État des lieux
Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !
Nous lisons toujours avec beaucoup d’attention le courrier que nous recevons (cf document en bas de page), et lorsqu’il s’agit d’un texte polémique, nous savons d’expérience que le dernier paragraphe signe véritablement les intentions de l’auteur. Ainsi, dans votre lettre : « Mais je tenais, Madame, à vous signifier mon profond agacement face « à ces ayatolahs (sic) de la sécurité routière qui veulent tout décider unilatéralement depuis Paris. » Vous vous retranchez derrière une invective sans en indiquer l’auteur, mais comme cette apostrophe implique nécessairement les experts du Conseil National de Sécurité Routière, nous pensons que vous imaginez avoir identifié un dangereux repaire d’ayatollahs, particulièrement sournois, qui ont su habiller leurs croyances sectaires de connaissances pseudo-scientifiques.
Vous me permettrez donc une réponse circonstanciée après examen de votre missive publique. Pour plus de clarté et nous épargner des commentaires oiseux, je classerai vos propos suivant trois catégories :
Les erreurs évidentes
Parler à deux reprises de « zones accidentogènes » date un peu et témoigne d’un raisonnement fondé sur la notion de «points noirs» qui étaient l’objet de l’attention des ingénieurs responsables de l’infrastructure il y a plus de cinquante ans.
En effet, les caractéristiques d’une ZAAC (Zone d’Accumulation d’Accidents de la Circulation) ont été définies pour identifier les segments de voies qui n’avaient pas encore été traités pour réduire le risque observé à leur niveau et en mai 1987, le « logiciel de détection des zones d’accumulation d’accidents » a été établi par le CETE de Lyon et le SETRA. Le traitement des ZAAC a été développé pendant des décennies et la majorité des départements ne produisent plus de cartes de ZAAC, car cette réalité a été remplacée par la notion de voie où l’on observe un nombre considérable d’accidents, du fait de l’importance du trafic. C’est précisément le cas de votre département.
Nous attendons avec impatience une carte des zones accidentogènes des Hautes-Alpes qui contredirait le risque majeur que constitue l’association vitesse + grand trafic.
Dès le mois de juin 2018, vous pouviez pourtant vérifier l’absence totale de pertinence de vos arguments à propos des zones dangereuses. Une carte était disponible pour chaque département, établie par un groupe de travail associant des chercheurs et la Ligue contre la violence routière. Ces cartes furent publiées par le JDD, un journal qui valorise les faits. Cette première étude portait sur les années 2006-2015 et montrait que sur 8 voies sans séparateur médian (représentant 26% du kilométrage total des routes de ce type), ces routes, les plus circulées des Hautes-Alpes (N94 – N85 – D1085 – D1075 – D942 – D994 – D1091 – D902) concentraient 81% des tués.
Une seconde étude, parue également dans le JDD du 1er septembre 2019, analyse l’accidentalité sur les voies hors agglomération et hors réseau autoroutier durant 5 ans (2013-2017). Elle permet de visualiser sur une carte la localisation de 216 accidents dont 34 avec un ou plusieurs tués et 182 avec un ou plusieurs blessés hospitalisés.
Ces cartes et ces graphiques sont disponibles sur le site internet de la Ligue https://www.violenceroutiere.fr/, sur le site www.securite-routiere.org. du Professeur Claude Got, ainsi que sur le site du JDD https://www.lejdd.fr/Societe/securite-routiere-les-cartes-des-accidents-mortels-dans-35-departements-3917040
Certes, nous ne nions pas le rôle de l’infrastructure dans la sécurité secondaire (en réduisant la gravité des conséquences de l’accident), mais dans la phase initiale qui relève de la sécurité primaire, ce sont les comportements (vitesse, alcool, téléphone, inattention, drogues, endormissement…) qui provoquent des accidents se répartissant de façon aléatoire sur toute la longueur des routes. La vitesse et l’importance du trafic sont les deux facteurs qui interviennent constamment dans l’insécurité primaire.
Votre affirmation justifiant le maintien de la vitesse maximale à 90 km/h « ça ne se passait pourtant pas trop mal » est glaçante, insupportable et en contradiction avec l’accidentalité de la période précédant la décision du Premier ministre : le nombre de tués était de 3 268 en décembre 2013, 3 529 en juin 2017 et il s’est réduit à 3 239 fin juillet 2019. Il s’agit de la valeur la plus faible (sur 12 derniers mois consécutifs) depuis la création de statistiques précises sur l’insécurité routière, et ce malgré la destruction de radars et la lenteur de la mise en place des radars mobiles dans des voitures banalisées.
Votre paragraphe sur l’importance de la régularité de la vitesse qui serait un gage de sécurité est ahurissant. Vous voulez remettre des routes à 90, ce qui va précisément créer le « cadre imprécis trop changeant » que vous considérez comme dangereux. Vous refusez que la diminution de la vitesse soit le premier facteur qui réduit l’accidentalité et que le niveau généralisé à 80 km/h évite précisément ce « cadre imprécis trop changeant ».
Nouvelle erreur majeure quand vous nous faites part du temps que vous consacrez au fastidieux décompte du « nombre de poids lourds circulant au plafond de la vitesse limite, suivis par des files de voitures interminables, dont les conducteurs finissent par prendre des risques inconsidérés pour doubler, faute à leur agacement légitime».
Je ne doute pas un seul instant qu’après avoir affirmé : « Les routes du département des Hautes-Alpes sont pratiquement toutes passées à 80 km/h depuis le 1er juillet 2018. Depuis lors, je n’ai de cesse de compter le nombre de poids lourds etc. », vous n’ayez eu le temps nécessaire pour constater qu’à l’arrière de ces camions figure une limitation de vitesse à 80 km/h, par conséquent identique à celle des voitures, ce qui réduit les risques liés aux dépassements.
Faut-il également vous rappeler qu’environ 40 secondes sont nécessaires à une voiture roulant à 90 km/h pour doubler un poids lourd sans remorque roulant à 80 km/h, soit une distance de presque 1km !!!
Les imprécisions
« Ca ne se passait pourtant pas si mal. La vitesse à 90 km/h sur le réseau secondaire était en vigueur depuis 1974. En 45 ans, le nombre de tués sur les routes est passé de plus de 16 000 au milieu des années 70 à moins de 3 500 en 2016. Et il aurait pu encore baisser si le bon sens des élus locaux avait été entendu. »
Ce commentaire réducteur escamote toutes les fluctuations de l’accidentalité des cinquante dernières années. Même si notre association compte nombre d’ingénieurs issus de Polytechnique, Centrale, l’Ecole des Ponts et autres écoles d’égale renommée, nous avons mis en place un groupe de réflexion qui réunit régulièrement des épidémiologistes, des chercheurs du CNRS, de l’IFSTTAR, des économistes, des universitaires de différentes disciplines, des responsables administratifs de la sécurité routière, des acteurs de sécurité routière du monde automobile, d’organismes sociaux internationaux, des membres de la justice, de la police et de la gendarmerie, des assureurs, etc.). Nous préférons modestement faire régulièrement appel à la connaissance de ces experts de réputation internationale plutôt que de nous référer au bon sens, fût-il celui d’élus locaux. Ainsi nul n’ignore à la Ligue que les infrastructures et les véhicules progressent régulièrement, mais lentement : la création d’autoroutes, le développement des ronds-points, le traitement de zones dangereuses, le renouvellement du parc automobile ne produisent pas immédiatement une baisse de l’accidentalité, mais contribuent à l’amélioration des résultats sur des décennies. A l’opposé, les décisions politiques, basées sur la connaissance des experts, peuvent provoquer des réductions de l’accidentalité d’un mois à l’autre, si elles sont pertinentes. Ainsi, quand le gouvernement de Jacques Chirac a décidé, après une stagnation des résultats pendant 5 ans, de rendre crédibles les contrôles de vitesse (création des radars automatiques et abaissement des tolérances), ces décisions ont divisé par deux la mortalité dans des délais courts. Les mesures de vitesse ont alors confirmé une nouvelle fois le lien entre la vitesse et l’accidentalité, reconnu par tous les accidentologues du monde.
Votre appel au « bon sens des élus locaux » est à l’aune de votre comptage personnel des poids lourds. Nous espérons que pour étayer vos propos, vous vous êtes livré à un premier décompte, avant le 1er juillet 2018, du nombre de voitures agglutinées derrière les poids lourds et que vous persévérez actuellement dans cette approche toute personnelle pour chiffrer la différence. Nous examinerons très attentivement les tableaux de ces données (lieux, heures, nombre, mois, etc.) que vous publierez certainement, afin de prouver qu’il ne s’agit ni d’un ressenti, ni d’une simple opinion personnelle.
Ancien technicien de l’infrastructure, vous prétendez que : « d’autres mesures pourraient être prises pour améliorer la sécurité des automobilistes que baisser la vitesse de circulation. Je pense notamment aux travaux qui pourraient être faits sur les infrastructures pour les adapter à la circulation ». Cela a été fait pendant des décennies, notamment sur les voies supportant les plus gros trafics. Par ailleurs, avez-vous les financements qui permettraient d’optimiser la protection des 2000 km de voies de votre département ? Allez-vous supprimer tous les obstacles verticaux ou installer des glissières de sécurité à leur niveau ? Croyez-vous que les chocs face à face dans les voies ne séparant pas les sens de circulation peuvent être moins destructeurs avec d’autres procédures que la création de séparations ? Il faut savoir reconnaître quand une mesure concernant les usagers est moins coûteuse et plus efficace. Faut-il répéter ici que le meilleur exemple de cette amélioration, sans modification des infrastructures, a été donné en 2003 par le respect des vitesses maximales grâce aux radars automatiques et à la faible tolérance pour les excès de vitesse ? Ainsi, sur les autoroutes, le nombre de tués était stationnaire depuis plusieurs années (533 tués en 2000 et 527 en 2002). Il a considérablement baissé dans les années suivantes (444 en 2003 et 322 en 2004).
Les omissions
Pourquoi passer sous silence tous les arguments en faveur du 80 km/h ?
Quand vous évoquez « Un cadre imprécis, trop changeant et inadapté à la société dans laquelle nous vivons, en particulier dans les zones rurales », vous oubliez de comparer les temps de parcours. Les zones rurales à faible densité de population sont favorisées par rapport aux grandes agglomérations et leurs banlieues où les bouchons sont quotidiens et les vitesses très basses. La perte de temps produite par le 80 a été évaluée : entre 1 et 2 secondes par kilomètre, en dehors de la traversée d’agglomérations importantes.
De plus, l’évolution de la mortalité depuis la mise en œuvre du 80 est publiée avec régularité. Vous ne paraissez pas sensible à la réduction de la mortalité sur les routes, qui est pourtant notre principal objectif !
3 268 tués en décembre 2013
3 529 tués en juin 2017 : trois années de remontée de l’accidentalité et une quatrième année de stagnation, du jamais vu depuis 1972. Nous le devons à la passivité des décideurs du gouvernement précédent qui refusait le 80 km/h recommandé par le comité des experts du CNSR.
3 239 tués en juillet 2019
Alors que l’évolution du climat devient dramatique, vous ne dites pas un mot sur la production de gaz à effet de serre liée à l’usage des carburants routiers. La France s’est engagée lors de la COP21 à réduire de 29% ses émissions à l’échéance 2028. Après trois ans d’augmentation de ses émissions, une réduction a enfin été observée en 2018 et au premier semestre 2019 ! Quand un véhicule accroît sa vitesse, il accroît sa consommation de carburant. Ignorer cette notion signe l’abandon d’aptitudes acquises lors de votre formation et nous le déplorons.
Et puisqu’il nous faut conclure, faute de temps, même si nous ne consacrons pas l’essentiel de celui-ci à compter le passage des véhicules, il nous semble nécessaire de rappeler les qualités et les bonnes pratiques des techniciens de la route : détenir une compétence dans le domaine concerné (en tenant compte de l’ensemble des données disponibles), exploiter les certitudes délivrées par les experts et surtout, se méfier des opinions et du bon sens. Il s’agit d’un dossier de santé publique majeur qui exclut tout amateurisme : première cause de mort de notre jeunesse et première cause de mort dans le monde du travail, la route exige de tous un effort de compréhension, l’abandon des préjugés et l’acceptation sans marchandage des décisions qui découlent de la connaissance. Les arguments sans fondement doivent être balayés. Il convient, dans les débats qui opposent des personnes de bonne foi, de privilégier le savoir, la compréhension fondée sur la réalité des faits, et de mettre un terme à l’exploitation des croyances. Le 80 km/h est une mesure de sécurité routière qui doit s’appliquer partout, comme ce fut le cas pour l’obligation du port de la ceinture, l’utilisation des dispositifs spécifiques pour les enfants dans les voitures, le 50 km/h en ville, etc. Il ne viendrait à personne l’idée de contester aujourd’hui ces règles qui ont sauvé des centaines de milliers de vies et pourtant à l’époque…
En vous remerciant de l’intérêt que vous avez manifesté à l’égard de nos informations, je vous saurais gré de ne plus utiliser des propos injurieux et injustifiés à notre encontre. Nos adhérents et sympathisants, qui sont majoritairement dans les départements, et qui quotidiennement affrontent le risque d’être tués ou blessés sur ces routes, ont apprécié. Actuellement en France, d’après l’ONISR, 80% des conducteurs ont leurs 12 points. Ce sont des conducteurs respectueux des règles. Certes, à l’inverse de ceux qui manifestent en permanence et bruyamment leur mécontentement, ils sont silencieux et ne l’oubliez pas, ils votent !
Chantal Perrichon
Présidente de la Ligue contre la violence routière
PS : Vous déplorez, dans les toutes premières lignes de votre lettre, de ne pas avoir encore reçu la lettre, annoncée dans le JDD du 1er septembre. Vous n’auriez pas pu nous écrire si vous n’aviez étanché votre soif de nous lire en vous abreuvant au site de notre association. Je gage que depuis vous avez lu également l’un des 40 000 envois que nous avons adressés aux préfets et aux élus (députés, sénateurs, présidents, conseillers des départements et maires).
État des lieux
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !