La circulation inter-files (CIF) est-elle dangereuse ?

Passion, prudence et première expérimentation

La CIF est une revendication ancienne qui suscite les passions chez de nombreux conducteurs de 2RM et la prudence au sein des acteurs de la sécurité routière.

Pour connaître comment l’accidentalité des 2RM est impactée par la CIF, le gouvernement a décidé par décret une première expérimentation durant cinq ans, du 1er février 2016 au 31 janvier 2021, sur les autoroutes et les voies assimilées[1] de onze départements[2] choisis pour être sujets aux embouteillages. Son objectif principal était d’encadrer la pratique, largement répandue parmi les 2RM, de remonter les files de véhicules (RIF : remontée inter-files).

 

Différence entre CIF et RIF

– La CIF est la circulation de 2RM entre deux files de véhicules motorisés, orientées dans le même sens et situées les plus à gauche.

– Elle a été autorisée pendant la période du 1er février 2016 au 31 janvier 2021.

– Cette expérimentation impose les conditions strictes suivantes :

  • la vitesse des 2RM et du trafic est limitée à 50 km/h lorsque la CIF est pratiquée ; mais il est essentiel d’adapter sa vitesse aux conditions de circulation ;
  • la CIF est autorisée lorsque la circulation est dense et qu’elle s’établit en files ininterrom- pues sur toutes les voies ;
  • l’espace entre les véhicules dans les deux files adjacentes doit être suffisant ; le 2RM ne doit pas forcer le passage;
  • il est interdit de dépasser un 2RM circulant en inter-files ;
  • les distances de sécurité entre 2RM doivent être respectées.

– Pour faciliter la CIF, les autres usagers sont invités à laisser un espace suffisant pour les 2RM, à bien actionner leur clignotant quand ils changent de file, vérifier dans leur rétroviseur et contrôler les angles morts avant tout changement de file. Ainsi la CIF impose aux automobilistes des contraintes qui peuvent être contraires au Code de la route qui impose, en particulier, de circuler au centre de la voie autoroutière.

– La RIF est la remontée inter-files qui ne respecte pas les conditions précédentes définissant la CIF. Elle est interdite par le Code de la route.

 

Le rapport du CEREMA de janvier 2021 sur l’accidentalité

Le Centre d’Étude et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement et l’Aménagement (CEREMA) a publié un rapport d’évaluation de cette expérimentation au bout de trois ans (donc avant sa fin), en janvier 2021. Il compare l’accidentalité des 2RM durant 2 périodes de trois ans ; la première, 2012-2014, quand la CIF n’existe pas, et la seconde, 2016-2018, pendant la période d’expérimentation légale de la CIF.

Il est compliqué de tirer des certitudes de ce rapport détaillé de 70 pages, complexe et parfois obscure. Cependant, il y est écrit dès l’introduction :

« Entre l’état initial (2012-2014) et les années d’expérimentation (2016-2018), l’accidentalité des 2RM à l’échelle de l’ensemble des zones expérimentales (i.e. départements entiers) a baissé de 10%, tandis qu’elle a augmenté de 12% sur le périmètre des réseaux routiers où s’applique la CIF expérimentale et de la zone témoin »

Pour être plus clair :

  • les « zones expérimentales » sont les 11 départements dans leur totalité ;
  • le périmètre des réseaux routiers est constitué des 1814 km d’autoroutes et de voies assimilées sur lesquels la CIF a été autorisée dans les deux sens de circulation (donc 3628 km au total).
  • quant à la zone témoin, il s’agit du département de la Haute-Garonne où la CIF n’était pas autorisée et où l’accidentalité a été mesurée pour être comparée à celle des 11 autres départements.

L’augmentation de 12% de l’accidentalité des 2RM semble sans appel. Ce résultat important se déduit facilement du tableau suivant en effectuant la moyenne des résultats sur les 11 départements qu’il contient[3] :

 

Toutefois, ce pourcentage a été calculé avec une faible variation des nombres d’accidents. Par ailleurs, il n’y a pas de différence essentielle entre le département témoin et les autres. Enfin et surtout, la distinction entre CIF et RIF lors de ces accidents n’est pas clairement établie. Si bien que la conclusion du CEREMA est la suivante :

« Au final, l’expérimentation a eu des effets positifs en termes de comportement, bien que les comportements respectant les règles restent minoritaires. Elle a permis de renforcer la pédagogie bien que des marges de progrès subsistent, en particulier dans les centres de conduite. La CIF des 2RM avec les règles de l’expérimentation est bien acceptée, y compris par les conducteurs de véhicules légers.  Les résultats d’accidentalité semblent indiquer une tendance à une légère augmentation des accidents corporels liés à la CIF ou à la RIF. »

On ne peut être moins convaincant sur le comportement, l’acceptabilité, l’éducation montrés par les 2RM de l’expérimentation. Finalement, retenons les 12% d’augmentation de l’accidentalité, loin d’être négligeable, qui n’incite pas à une légalisation de la CIF ! En effet, Il est à craindre qu’une légalisation, en l’absence de distinction claire entre CIF et RIF lors de l’expérimentation, ne permette pas la disparition de la RIF au profit de la CIF et entraîne donc au moins une stagnation ou même une augmentation de l’accidentalité.

 

Divers aspects dangereux de la CIF[4]

– Compte tenu de la largeur de voie sur les autoroutes et assimilés (3,5 m), de la largeur moyenne d’un véhicule à 2RM (0,90 m) et de celle d’une voiture (2,20 m), il est immédiat de vérifier (faire un dessin si nécessaire) que, si les voitures circulent comme il se doit au centre de leur voie, une moto en CIF se situe exactement à 20 cm de la voiture à sa gauche et à 20 cm de celle à sa droite.  Il est évident que ce voisinage est dangereux. Il est donc nécessaire, pour diminuer le risque d’accident que les voitures ne roulent plus au centre de leur voie, mais se déportent les unes à gauche, les autres à droite pour laisser plus d’espace aux 2RM.

Il est clair que les manœuvres que doivent ainsi effectuer les voitures pour laisser suffisamment de place aux 2RM en CIF sont accidentogènes et rompent l’égalité entre les différents usagers face aux règles communes du Code de la route.

– La pratique de la CIF impose des conditions sur les vitesses, le différentiel de vitesses, sur la densité de la circulation, sur le caractère ininterrompu de la file de voitures, sur les distances de sécurité, etc. Ces conditions ont un caractère quantitatif difficile à évaluer en permanence, et un aspect qualitatif sujet à contestation. En pratique, en cas d’accident, le respect des conditions de la CIF est très difficile à vérifier. Comment alors traiter justement des conséquences civiles, administratives, et pénales en cas de conflit ?

 

Seconde expérimentation

Il est certain qu’isoler l’accidentalité de la CIF au sein de l’accidentalité de l’ensemble des remontées inter-files, CIF + RIF, n’est pas aisé à faire. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles la Délégation à la Sécurité Routière (DSR), estimant que les conclusions de l’expérimentation précédente sur la CIF n’étaient pas satisfaisantes, a décidé de renouveler l’expérience sur une période de trois ans à partir du 2 août 2021. Ce nouveau test concerne 21 départements[5] comprenant les 11 précédents et 10 nouveaux, sans département témoin cette fois (?). Les conditions dans lesquelles la CIF peut être pratiquée sont inchangées par rapport à la première expérimentation ; toutefois, une information sous forme de panneaux sur les voies concernées et une communication plus développée devraient être mises à la disposition des conducteurs de 2RM.

Nous sommes en attente d’un nouveau rapport du CEREMA que nous espérons lumineux.

[1] La vitesse autorisée sur ces voies doit être comprise entre 70 et 130 km/h. La CIF est interdite en ville et sur les routes non séparées par un terre-plein central.
[2] Les huit de la région Île-de-France, les Bouches-du-Rhône, la Gironde et le Rhône.
[3] [(1570+120+94+35) – (1447+73+61+45)] / (1447+73+61+45) = 0,118  soit 12%.
[4] Voir Pondération n°124, p.14-16, juin 2021
[5] Les 11 départements de la première expérimentation plus :  les Alpes-Maritimes, la Drôme, la Haute-Garonne, l’Hérault, l’Isère, la Loire-Atlantique, le Nord, les Pyrénées-Orientales, la Seine-et-Marne, le Var, le Vaucluse.

État des lieux

Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :

Avec la mobilisation de tous, c’est possible !

Le bilan
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