Pourquoi est-il essentiel de ne pas affaiblir cette nouvelle mesure en matière de sécurité routière?

En 2018, dès l’annonce de la mesure du 80 km/h, nous assistons enfin à une baisse de l’accidentalité : 3 488 morts soit – 206 vies sauvées et autant de personnes lourdement handicapées pour le bilan de l’année.

POURQUOI AGIR SUR LA VITESSE ?

Le facteur vitesse est la première cause d’accidents et d’aggravation des blessures. C’est une donnée physique, aux effets mesurables, bien connue des scientifiques.

De nombreuses études montrent qu’une baisse de 1 % de vitesse moyenne entraîne une réduction de 4 % des accidents mortels et de 2 % des accidents avec blessés.

Des pays européens comme le Danemark, la Norvège, la Suisse, les Pays-Bas ont déjà adopté cette vitesse maximum de 80 km/h sur ces mêmes réseaux et ont constaté un effet positif sur la sécurité routière.

POURQUOI CIBLER LES ROUTES ACTUELLEMENT LIMITÉES À 90KM/H ?

Les routes bi-directionnelles limitées à 90 km/h concentraient 89 % de la mortalité des routes hors agglomération, soit 56 % de l’ensemble des tués en 2017. Si l’on souhaite obtenir des résultats rapides, il faut agir sur ces axes où le nombre d’accidents est le plus important.

Il faut en outre agir de manière globale : le 80 km/h devient une vitesse « par défaut », connue de tous sur tout le territoire, chaque fois que 2 voies se croisent sans protection médiane. RÉSULTAT AT

QUEL RÉSULTAT ATTENDREDANS LES BILANS D’ACCIDENTALITÉ ?

La mesure va entraîner une baisse des vitesses moyennes de circulation, en hausse depuis 2013. Les observations en France et dans plusieurs pays permettent d’envisager une réduction effective de 3 à 4 km/h si la vitesse autorisée est abaissée de 10 km/h. Selon les experts, réduire la vitesse maximum autorisée sur le réseau départemental de 90 à 80 km/h devait sauver 350 à 400 vies dès la première année(1).

(1)Rapport du comité des experts du Comité National de la Sécurité Routière (CNSR).

QUEL SERA L’IMPACT DE LA MESURE SUR L’ENVIRONNEMENT ?

L’abaissement de la vitesse de 90 à 80 km/h a également un impact positif en matière d’environnement, avec réduction de l’émission de CO2 qui contribue au réchauffement climatique, et en matière de santé publique en diminuant l’émission des polluants.

QUEL SERA L’IMPACT DE LA MESURE SUR LES TEMPS DE DÉPLACEMENT ?

Les temps de parcours ne sont influencés que partiellement par la vitesse. Les aléas routiers et les traversées d’agglomération sont en effet à prendre en compte. De nombreuses mesures ont été faites et leurs résultats indiquent que les accroissements de temps de parcours restent minimes (de l’ordre de 1 seconde par kilomètre).

Dans les zones rurales, la proportion de routes concernées est importante, mais leur vulnérabilité est également grande, avec un nombre de victimes élevé. La réduction de vitesse n’ayant qu’un effet négligeable sur les temps de parcours, ces zones garderont toujours un avantage considérable sur les zones urbaines.

Pour en savoir plus sur la mesure du 80km/h

Télécharger le document « la vitesse ou la vie ? » présentant l’argumentaire sur la mesure du 80km/h

Télécharger l’article de Claude Got, Professeur de médecine, spécialiste de la sécurité routière sur l’intérêt de la mesure du 80km/h

Lire l’article « 80 km/h : Game over ? » de Fabrice Hamelin Enseignant-chercheur à l’Université Paris Est Créteil (UPEC)

Lire l’article « Organiser la perte de chance… » du Docteur Philippe Lauwick, Président de l’Automobile Club Médical de France et, par ailleurs, Président de la Commission Santé et Déplacements sur la route du Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR)

« 80 km/h : Game over ? » (1)

Fabrice Hamelin Enseignant-chercheur à l’Université Paris Est Créteil (UPEC)

Il avait ouvert le jeu par un tweet en décembre 2017 : « Je suis favorable aux 80 km/h sur les routes bidirectionnelles nationales et départementales : deux tiers des accidents se concentrent sur ces tronçons de route ». En mai 2019, il a semblé acter la n de la partie d’une phrase : « Si les présidents des Conseils départementaux souhaitent prendre leurs responsabilités, je n’y vois aucun inconvénient ».

Moins d’un an après l’application du 80 km/h, le Premier ministre dépose les armes. Se disant jusque-là prêt à assumer l’impopularité de la mesure, Édouard Philippe s’est renié, au plus mauvais moment, à la veille d’une élection. Ceux qui voyaient dans la mesure l’expression « du courage en politique » regardent avec sidération celle-ci se muer en déroute à visée électoraliste, quelques jours à peine avant la confirmation des résultats « historiques » de l’année 2018. Comment en est-on arrivé là ?

Un choix politique initial adossé à des études scientifiques

L’adoption de cette mesure, en janvier 2018, a surpris l’opinion publique. Elle s’explique pourtant aisément au regard d’une conception rationnelle – certains diront technocratique – de l’action publique. La mobilisation des savoirs experts et des données probantes est placée au cœur de la prise de décision.

Pour l’exécutif, le problème est clairement dé ni : il faut inverser la courbe de l’accidentalité, mettre rapidement un terme aux résultats décevants du quinquennat précédent et réaffirmer le pilotage de cette politique par l’exécutif, auquel l’opinion publique impute les résultats.

Depuis de nombreuses années, des travaux scientifiques internationaux établissent une corrélation entre la baisse des vitesses de circulation, celle du nombre des accidents et des tués. Cet abaissement à 80 km/h est réclamé par le comité des experts du Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR) depuis 2013 et soutenu par des associations mobilisées. Bernard Cazeneuve a lancé des expérimentations en 2015. Des chiffres peuvent être mis en avant : 300 à 400 vies seront épargnées. La mesure est également accompagnée d’une évaluation au bout de deux années.

Cette réorientation politique répond à l’échec des autres outils en vigueur. L’efficacité des dispositifs automatisés de contrôle des vitesses est mise à mal par les plates-formes collaboratives et les détecteurs de radars. Il faut renouveler la boîte à outils de la sécurité routière.

Quant à la méthode, elle s’inspire de celle suivie par le gouvernement de Jacques Chirac en 2002 : une responsabilité de la réforme fermement assumée au sommet de l’État – ce qui avait alors fait taire les oppositions, notamment de ministres – et une mise en œuvre rapide permettant de ne pas entrer en discussion avec les nombreuses parties prenantes, en particulier les collectivités territoriales concernées.

Une politisation de la politique de sécurité routière

Cette vision dépolitisée de l’action publique, reposant sur des données probantes et l’adoption de ce qui marche ailleurs, apparaît à l’automne 2017 pleinement en phase avec l’alternance politique qui vient d’avoir lieu et l’état d’esprit d’un nouveau gouvernement qui entend promouvoir une action qui soit « et de droite et de gauche ».

Elle s’oppose cependant à une autre vision de la fabrique des politiques publiques, qui accepte les présupposés idéologiques, prête l’oreille aux groupes de pression et s’applique à surfer sur les vagues de l’opinion publique. On utiliserait, aujourd’hui, le terme d’acceptabilité sociale. C’est ce mode, plus classique, de fabrique de l’action publique qui a ni par s’imposer ici du fait d’une politisation de la politique de sécurité routière sans doute mal anticipée par le gouvernement.

Cette politisation de la politique de sécurité routière se voit d’abord dans le fait que des acteurs et des groupes politiques, ici essentiellement situés à droite

de l’échiquier politique, réinscrivent la sécurité routière à leur agenda. Il s’agit notamment des Républicains et du Rassemblement national.

Ces investissements partisans contribuent à diffuser pêle-mêle l’idée d’une mesure témoignant du paternalisme et de l’autoritarisme de l’État central ou encore du caractère liberticide et de la visée punitive des politiques menées. Ils nient même l’ambition de sécurité routière des mesures gouvernementales pour n’y voir qu’une opportunité supplémentaire de levée fiscale.

L’enjeu de la sécurité routière relégué au second plan

Cette politisation de la sécurité routière est aussi visible dans la mobilisation des élus. Des sénateurs, porte-voix traditionnel des élus locaux et départementaux, se sont plus particulièrement emparés du dossier : la création d’une commission chargée de faire des propositions au gouvernement en témoigne, comme l’expression médiatique de membres du Sénat et le vote de mesures.

Enfin, les présidents des Conseils départementaux ont pris la parole, sur cette question, au nom du « bon sens », de leur responsabilité et de leur connaissance particulière des routes et des usagers de leur département.

Cette phase de politisation opère une redéfinition du problème et une relégation de l’enjeu de la sécurité routière et des réponses scientifiques. Les acteurs politiques ont ainsi promu des problématiques plus larges et usé d’argumentaires qui relèguent l’enjeu de sécurité routière au second plan.

Ils se mobilisent contre le mépris de l’exécutif et « le parisianisme » de la mesure, mettent l’accent sur la dégradation des infrastructures routières et le respect par l’État des compétences qu’il a abandonnées aux territoires ou encore la faiblesse du nécessaire dialogue entre les pouvoirs publics situés aux différents échelons. Bref, la tentation technocratique issue de l’alternance se heurte au retour du politique.

Six mois de préparation, et de controverses

Le retour du politique se lit aussi dans les mobilisations qui se développent tout au long des six mois qui précèdent la mise en œuvre en juillet 2018. Le long semestre dévolu à la préparation de l’installation des nouveaux panneaux a autorisé la mobilisation des différents porteurs d’enjeux concernés. Ce sont six mois de mise en controverse de la mesure. Ils ont autant servi que desservi le gouvernement et ses soutiens au sein de la société. Ils leur ont ainsi permis de communiquer et de construire un discours scientifiquement argumenté.

Ils ont également permis au Premier ministre de réaffirmer la solidité de ses convictions face à une opinion publique défavorable et ainsi de s’en tenir à son refus d’amender la mesure ou de faire des élus territoriaux des interlocuteurs incontournables sur ce sujet.

Mais, en six mois, les opposants à la décision ont aussi pu développer les enjeux politiques du débat et échafauder à partir de là une coalition d’opposants à la mesure, allant bien au-delà des acteurs de la sécurité routière : la mise en scène de l’opposition entre Paris et la province, la dénonciation du mépris des élus locaux et de l’aveuglement technocratique, la défense des spécificités de la mobilité dans les espaces ruraux et péri-urbains ont été les thèmes mobilisés par les associations hostiles et les lobbies pro-vitesses. Ils ont touché l’opinion publique et ont été repris par des élus nationaux et les exécutifs départementaux.

L’irruption des « gilets jaunes »

Le deuxième semestre de 2018 a vu l’application effective de la mesure. Il a certes permis au Premier ministre de véri er la réussite de la mesure et de défendre sa fermeté face aux oppositions croissantes. Début 2019, il peut ainsi revenir en Seine-et-Marne présenter l’année 2018 comme une année historique pour la sécurité routière au regard du nombre des tués.

Mais, ces six mois sont aussi ceux de la mobilisation des gilets jaunes. Celle-ci, partie des problématiques et de symboles immédiatement liés à la route – les ronds-points, les gilets jaunes et les taxes sur les carburants, par exemple ! – a notamment débouché sur une dégradation massive des radars automatiques et sur la tenue du grand débat national. Ces deux conséquences de la mobilisation des gilets jaunes ont non seulement relancé mais aussi déplacé la discussion.

Le poids de l’absence du chef de l’État

À côté de la mobilisation collective et de son impact sur l’opinion publique et la mise à l’agenda médiatique de la question, on ne peut ignorer le rôle déterminant des institutions politiques dans le déroulement de cette séquence.

En premier lieu, l’absence d’engagement du président de la République en faveur de la mesure a lourdement pesé sur son échec. À la différence du modèle offert par la séquence de réformes ouvertes en 2002, la réorientation voulue de la politique de sécurité routière n’a, à aucun moment, été portée au sommet de l’État. Le Premier ministre s’est donc retrouvé seul, face à ses opposants et face à certains de ses ministres aussi. Il n’y a guère de doutes, dans le cadre institutionnel de la Ve République : l’innovation politique reste fragile lorsqu’elle n’est pas portée explicitement par le chef de l’État.

Plus original, peut-être, est la relative faiblesse de la légitimité du Premier ministre dans sa confrontation au pouvoir législatif. Bien entendu, il a pu compter sur sa majorité à l’Assemblée nationale, et les règles de fonctionnement des institutions. Une récente illustration est offerte par l’amendement du groupe LREM à l’Assemblée nationale : les préfets, et à travers eux l’exécutif, n’assumeront pas la responsabilité de la modulation des limitations de vitesse sur les routes départementales.

En revanche, le Sénat et la majorité sénatoriale ont pu jouer un rôle majeur tout au long de la séquence politique. Au printemps 2018, ils ont mis en place une commission ad hoc, remis des propositions au gouvernement en juin de la même année, utilisé les tribunes offertes par les médias et apporté leur soutien aux élus locaux. Bien entendu, le contexte politique s’y prêtait. L’opposition réside, au cours de cette première partie de la mandature, au Sénat et dans les territoires.

Bref, au-delà de la mobilisation de la rue, du travail de lobbying mené auprès de l’exécutif et des médias, une des principales clés de compréhension du devenir du projet de relance de la politique de sécurité routière tient à la solidité de nos institutions politiques nationales et territoriales.

Le retour du gouvernement à distance de la sécurité routière ?

Faut-il en tirer des leçons de bonne gouvernance ? C’est difficile à dire. Bien entendu, les spécialistes de l’action publique peuvent dénoncer, aujourd’hui, la naïveté d’un gouvernement de technocrates qui a pensé se passer de la discussion nécessaire, dans un État décentralisé, avec les représentants des exécutifs territoriaux.

Mais, face aux enjeux propres de la sécurité routière, à l’automne 2017, pouvait-il raisonnablement se lancer dans une longue et difficile négociation avec les porte- paroles des territoires ? Plus encore, pouvait-il envisager l’ampleur, la durée et les conséquences, pour le dispositif de contrôle automatisé, du mouvement des gilets jaunes ou même que la réponse de l’Élysée à la grogne se ferait sous la forme de débats dans les territoires ?

Quelles conséquences en tirer pour l’action publique de sécurité routière ? L’objectif de redonner de l’efficacité à la politique de sécurité routière semble s’éloigner ; la volonté de faire du Premier ministre le garant de cette politique interministérielle paraît aussi mise à mal.

Pour autant, le jeu n’est pas terminé et, paradoxalement, c’est peut-être encore par l’expertise qu’il va reprendre. C’est à travers l’exigence du « plus haut niveau de sécurité routière » – autrement dit par les modalités d’encadrement des modulations de vitesses sur les routes départementales – que le gouvernement peut peser sur le devenir de la réforme voulue.

C’est alors bien à travers une forme de gouvernement à distance qu’il pourrait vouloir jouer la prochaine partie.

« Game over… Same player shoots again ! »

(1) Cet article a été publié sur le site The Conversation, le 3 juin 2019.

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« Organiser la perte de chance… »

Docteur Philippe Lauwick, Président de l’Automobile Club Médical de France et, par ailleurs, Président de la Commission Santé et Déplacements sur la route du Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR) @PhilippeLauwick www.acmfpermicomed.fr

On m’a, ces dernières semaines, demandé à plusieurs reprises, quels devraient être les critères retenus par les présidents de conseils généraux pour relever la vitesse maximale autorisée de 80 à 90 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central.

Je n’ai pas la conviction que ceux qui posent la question voient l’incongruité qu’il y aurait pour un médecin à donner une « recette » valorisant l’effet d’une mesure dont on sait qu’elle va augmenter quoiqu’on fasse le nombre de morts et de blessés. Un peu comme si pour un médicament reconnu efficace contre une maladie grave, sans effet secondaire majeur ni surcoût induit, on nous demandait de réfléchir pour choisir une catégorie de patients auxquels on déciderait de ne pas le prescrire.

Faut-il, une fois encore, redire que la vitesse augmente la probabilité d’avoir un accident et systématiquement la gravité de celui-ci ? La diminution des vitesses de circulation est donc un moyen efficace de réduction des accidents.

N’oublions pas que les routes bidirectionnelles sans séparateur central sont les plus mortifères : là réside la logique des experts qui les ont retenues pour la réduction de 10 km/h. Il faut aussi cesser de prétendre que les « belles routes droites » ne devraient pas être concernées : elles sont indiscutablement, en raison de leur plus grande fréquentation et des vitesses plus élevées pratiquées, les plus dangereuses. C’est hélas parce que ces données sont contre-intuitives que trop de politiques populistes cèdent aux sirènes d’électeurs potentiels plutôt qu’à la raison.

Les démonstrations des vrais experts et les premières évaluations réalisées par le Cerema sont sans appel. Organiser la perte de chance face à la probabilité d’être tué ou atteint dans son intégrité corporelle est contraire à mon éthique. C’est pourquoi je refuse de répondre à l’interrogation qui m’est faite. Une dérobade ? Que nenni, juste l’affirmation de ma conviction face à une mesure qui sauve toujours et partout des vies : la mienne, la vôtre peut être !

État des lieux

Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :

Avec la mobilisation de tous, c’est possible !

Le bilan
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