État des lieux
Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !
Claude Got
professeur honoraire de médecine, accidentologiste
Tout le monde conduit ou est conduit. Cette familiarité donne l’illusion de la connaissance, alors que l’expérience de la conduite n’est pas celle de l’accident, qui est heureusement un événement rare. Un usager a été confronté à des situations difficiles, il a échappé de peu à des accidents et cela lui a permis d’acquérir une expérience et d’en tenir compte, mais également de se rassurer en concluant à son aptitude à éviter l’accident grave. Chaque conducteur devient alors un spécialiste de l’accidentologie, se sentant capable de tenir des propos définitifs sur la
prévention des accidents.
L’ambiguïté de la relation entre un usager et son véhicule. Vouloir limiter cette relation au service rendu est réducteur. À un niveau variable d’une personne à l’autre, un élément affectif incluant le plaisir peut se développer entre un produit technique exceptionnel de l’intelligence humaine et celui qui l’utilise. Le terme de «conducteur» exprime une notion de pouvoir, de maîtrise, de choix individuel d’une vitesse de circulation, d’un dépassement, de la négociation d’un virage. Plus on «s’intéresse à sa voiture», moins on tolère l’intervention de règles contraignantes et de
conseils dans la façon de s’en servir. Le risque majeur devient le plaisir de transgresser la règle et de faire plusieurs centaines de mètres en wheeling sur la promenade des Anglais.
L’existence d’une presse spécialisée au comportement irresponsable. Ses journalistes nourrissent leurs lecteurs avec les plats qu’ils affectionnent. Cette forme de journalisme qui ne recherche pas l’objectivité mais la réponse à une demande n’est pas spécifique de la presse écrite, elle s’est solidement implantée à la radio et à la télévision, y compris sur les radios et les chaînes publiques. Ces pratiques sont comparables aux déviances de la presse engagée dans un combat politique, qui exploite et développe un clientélisme avec deux caractéristiques principales:
la simplification réductrice (le slogan) et l’affirmation sans preuve.
Le double jeu des constructeurs. Ils sont dans une situation difficile, coincés entre leur parfaite connaissance du risque routier et leurs intérêts commerciaux. Ils conçoivent et produisent les meilleures voitures possibles, qui vont répondre aux demandes de leurs clients. Les progrès qu’ils ont réalisés dans le domaine de la sécurité ont été exceptionnels et j’ai travaillé avec eux pendant la quasitotalité de ma vie professionnelle pour les aider à atteindre ce niveau de qualité. Dans le même temps, ils ont développé des facteurs d’insécurité qui attirent des clients. Produire
des voitures inutilement rapides, lourdes et donc nécessairement puissantes pour satisfaire une clientèle est une dérive qui tue. Leurs justifications sont connues, ils font vivre leurs salariés, ils respectent les règles établies au niveau d’une Union européenne à plat ventre devant la puissance du lobby allemand de la vitesse.
La malfaisance structurelle des publicitaires. Je suis un publiphobe qui s’assume comme tel. Je vais régulièrement devant les tribunaux correctionnels défendre ceux qui s’engagent contre l’envahissement publicitaire en barbouillant des affiches. Les publicitaires vendent leur intelligence pour faire vendre. Cette forme de prostitution de l’esprit est totalement déconnectée du service rendu. Celui qui paie a tous les droits, y compris celui de vous faire détruire les bases de la vie en société et les intérêts élémentaires de cette dernière (respect des règles, respect des autres).
Lors de ces témoignages, je cite souvent des publicités pour des voitures: «Je n’exploiterai pas complètement les possibilités de ma voiture. Levez le pied droit et dites: je le jure», ou encore: «S’oublier le temps d’un instant, connaître les règles et savoir s’en affranchir, se perdre entre ciel et terre et s’aventurer au-delà». La promotion de l’hyperconsumérisme et du risque est devenue insupportable.
Quelles solutions?
Le site Internet gouvernemental traitant de la sécurité routière doit placer dans ses priorités la lutte contre la désinformation associant mensonges et manipulation des faits. Ce rôle est aussi important que la mise à disposition d’informations pertinentes et de qualité. Nous sommes dans un domaine où la réussite est le résultat d’un combat. Il doit être conduit en identifiant les adversaires nominativement, en citant avec précision leurs propos et en les analysant pour apporter la preuve de leur caractère inexact ou manipulateur. Une pédagogie du risque routier n’a aucun pouvoir si son action est contrecarrée en permanence par des informations en totale contradiction avec l’état des connaissances.
Cette attitude exige d’avoir du courage et de ne pas être inhibé par le conflit avec les médias, en réalité avec les médias spécialisés de l’automobile, qui traversent une période difficile, comme toute la presse écrite. L’analyse doit concerner des situations dépourvues de la moindre ambiguïté. Elles sont suffisamment nombreuses pour éviter de prendre le risque de traiter des domaines où nos connaissances sont encore fragiles. Un tel site doit être ouvert au débat, cela signifie que l’auteur d’une désinformation analysée et commentée doit pouvoir exercer un droit de réponse qui sera intégralement reproduit, suivi éventuellement d’un nouvel argumentaire si la réponse introduit de nouvelles erreurs. Ce type de débat conduit à un niveau de qualité élevée, sans agressivité et sans concession, qui fera évoluer l’état des connaissances des usagers et facilitera l’acceptation des décisions contraignantes organisant la sécurité routière.
État des lieux
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !