Une étude publiée en 2013 confirme la validité de la modélisation de Nilsson-Elvik « une diminution de 1% de la vitesse moyenne entraîne toujours une diminution de 4% des tués »

Pour contredire ceux qui estiment périmée la modélisation de Nilsson de 1982 confirmée par la méta analyse de Rune Elvik de 2009, une étude française publiée en 2013 dans la revue « Accident Analysis and Prevention » démontre au contraire sa pertinence. Le modèle utilisé est plus précis, car il considère 4 plages de vitesses excessives pour conclure qu’il faut non seulement concentrer la lutte sur les petits excès de vitesse mais aussi réduire les vitesses qui ne sont pas excessives pour améliorer la sécurité routière.

Le bénéfice de la réduction de 90 à 80 km/h de la limitation de vitesse est donc une certitude. Ainsi ceux qui n’étaient pas en infraction en roulant par exemple à 85km/h sur une route limitée à 90km/h vont réduire leur vitesse à 80km/h. L’étude montre que cela influera plus sur la réduction de la vitesse moyenne que la lutte contre les très grands excès de vitesse:  la part des très grands excès de vitesse constitue 0,5% des excès de vitesse en 2010, leur élimination  ne permet que de baisser de 0,25% la vitesse moyenne d’où une réduction de 1% de la mortalité. L’élimination des petits excès de vitesse permet de réduire de 2,3% la vitesse moyenne d’où une réduction de 13% de la mortalité. En réduisant la limitation de 90 à 80, on élargit la proportion de conducteurs qui vont réduire leur vitesse, ce qui va faire baisser sensiblement la vitesse moyenne, d’où une plus forte réduction de la mortalité.


Traduction libre des auteurs d’après :

Fractions of fatal crashes attributable to speeding: Evolution for the period 2001-2010 in France.

Vivian Viallon, Bernard Laumon

Accident Analysis and Prevention, 52 (2013) 250-6

Université de Lyon, F-69000, Lyon, France

IFSTTAR, UMRESTTE, F-69500, Bron

Université Lyon 1, UMRESTTE, F-69000, Lyon, France

Part des accidents mortels attribuable aux excès de vitesse : évolution sur la période 2001-2010 en France.

Résumé

En matière de sécurité routière, et parmi l’ensemble des facteurs établis de risque d’accident mortel, la vitesse présente deux particularités principales : chaque usager de la route y est exposé, et elle augmente à la fois le risque d’accident et sa sévérité. Ainsi, la régulation de la vitesse est la pierre angulaire des politiques de sécurité routière ; elle a également alimenté un débat public intense. Pour contribuer à ce débat, nous avons construit un modèle polynomial qui relie le nombre d’accidents mortels à la distribution des vitesses. En dépit de sa simplicité, ce modèle est en bonne adéquation avec nos données et nous permet d’estimer les fractions des accidents mortels attribuables aux différents types d’excès de vitesse. Nos résultats sur routes départementales suggèrent que la fraction des accidents mortels attribuables aux grands excès de vitesse (> 20 km/h au-dessus de la limite autorisée) est passée, sur la période 2001-2010, de 25 % à 6 %, celle des excès modérés (entre 10 et 20 km/h au-dessus de la limite) est passée de 13 % à 9 %, alors que la fraction attribuable aux petits excès de vitesse (< 10 km/h au-dessus de la limite) est passée de 7 % à 13 %. Les routes nationales montrent une tendance analogue. Ces résultats soulignent l’efficacité des politiques mises en place sur la période étudiée vis-à-vis des grands excès de vitesse. Ils suggèrent également que les politiques à venir devraient se concentrer tout particulièrement sur les petits excès de vitesse.

1 Introduction

En tant que facteur de risque d’accident de la route (mortel ou non), la vitesse présente deux particularités principales. La première est que tous les usagers sont exposés à ce facteur (ils sont exposés à la fois à leur propre vitesse et à celle des autres usagers) : si tous les véhicules circulaient à une vitesse nulle, il n’y aurait aucun accident de la route (mortel ou non). D’après l’European Road Safety Observatory (ERSO), la vitesse est le facteur contributif essentiel dans approximativement 30 % des accidents mortels en Europe (Cf. https://ec.europa.eu/transport/road_safety/specialist/). Plus exactement, une vitesse inadaptée est le facteur contributif essentiel dans approximativement 30 %, puisque la vitesse en tant que telle est évidemment impliquée dans 100 % des accidents, qu’ils soient mortels ou non. La deuxième particularité de la vitesse en matière de sécurité routière est qu’elle affecte, non seulement le risque d’être impliqué dans un accident, mais aussi la sévérité de l’accident.

L’augmentation du risque d’accident avec la vitesse s’explique par des distances de freinage augmentées, le dépassement de la vitesse critique en virage, les pertes d’adhérence, et la capacité réduite du conducteur à détecter et réagir aux dangers (Patterson et al., 2000). L’augmentation de la sévérité de l’accident avec la vitesse s’explique quant à elle par le fait que l’énergie dégagée au moment de l’impact avec un autre véhicule, usager ou obstacle, augmente avec la vitesse. La sévérité d’un accident pour les occupants d’un véhicule dépend typiquement du changement de vitesse brutal que subit ce véhicule au moment de l’accident, appelé « delta-V » (voir TRB, 1998 et Evans, 1991). L’énergie dégagée au moment de l’accident correspond à l’énergie cinétique, qui est proportionnelle au delta-V, ou à la vitesse du véhicule : Fildes et Lee (1993) ont établi qu’une augmentation de 20 % de la vitesse correspondait à une augmentation moyenne de 44 % de l’énergie cinétique dégagée dans un accident. Cette relation entre énergie cinétique et sévérité de l’accident est illustrée par l’étude menée par le LAB PSA Peugeot Citroën / Renault sur 100 000 occupants de petites voitures équipés de ceinture de sécurité : jusqu’à 35 km/h, il n’y a pratiquement aucun décès alors qu’à 70 km/h, 50 % des occupants décèdent.

De nombreuses études épidémiologiques ont confirmé cette relation intuitive entre vitesse et risque d’accident d’une part, sévérité de l’accident d’autre part. Dans leur revue sur le sujet, Aarts et van Schagen (2006) distinguent deux principaux types d’études. Plusieurs auteurs ont étudié la vitesse individuelle des automobilistes et ont établi que le risque d’accident augmente selon une fonction polynomiale (Maycock et al. 1998, Quimby et al. 1999) ou exponentielle (Fildes et al. 1991, Kloeden et al. 1997, 2001, 2002) avec cette vitesse. D’autres auteurs se sont concentrés sur les vitesses moyennes (pour un tronçon de route donnée), et ont généralement établi un lien polynomial avec le risque d’accident (Finch et al., 1994; Nilsson, 1981, 2004), même si d’autres types de fonction ont été reportés (Baruya 1998). Aarts et van Schagen (2006) indiquent que la fonction exponentielle de Kloeden et al. et les fonctions polynomiales de Nilsson sont les plus à même de décrire la relation entre risque d’accident et, respectivement, vitesse individuelle et vitesse moyenne. En particulier, il a été montré que les fonctions proposées par Nilsson étaient en bonne adéquation avec différentes données décrivant divers réseaux (Nilsson, 2004 ; Elvik et al. 2004).

Bien que chaque usager de la route soit exposé au facteur vitesse, cette exposition n’est bien sûr pas homogène, puisque la distribution des vitesses est généralement très dispersée, même lorsqu’on se focalise sur un type de réseau donné (les routes départementales, par exemple). Plusieurs études ont porté sur la relation entre risque d’accident et disparité des vitesses (Kloeden et al., 1997, 2001, 2002 ; Garber et Gadiraju, 1989 ; Taylor et al. 2000, 2002). Quelques auteurs ont suggéré que les vitesses faibles pourraient être en partie responsables du risque d’accident accru en présence d’une disparité importante des vitesses (Solomon, 1964 ; Cirillo, 1968 ; RTI, 1970), mais il est communément admis aujourd’hui que cette augmentation est quasiment exclusivement due aux vitesses excessives (voir Aarts et van Schagen, 2006 pour plus de détails).

L’intuition, les lois physiques élémentaires et les études épidémiologiques convergent ainsi pour souligner la relation très importante entre une vitesse élevée et, à la fois, le risque d’accident et sa sévérité. Cela explique qu’une large majorité de conducteurs considèrent aujourd’hui la vitesse comme un facteur essentiel en matière de sécurité routière : plus de 80 % des conducteurs européens déclarent qu’une vitesse excessive constitue “souvent”, “très souvent” ou “toujours” un facteur contributif des accidents de la route (SARTRE 3, 2004). Cependant, l’ERSO estime que 40 à 50 % des conducteurs roulent au-dessus des limites autorisées et que 10 à 20 % dépassent ces limites de plus de 10 km/h. Cela a naturellement conduit à diverses mesures de contrôle des vitesses en Europe : par exemple, l’utilisation des radars fixes s’est généralisée en France depuis 2003 avec le Contrôle Sanction Automatisé (CSA). Il est largement admis que la diminution observée des vitesse moyennes et celle, plus sensible encore, du nombre des accidents mortels (approximativement 46 % entre 2001 et 2010) sont à mettre au crédit du CSA. Cette impression générale est en tout cas en accord avec les conclusions de la plupart des études épidémiologiques sur le sujet, qui montrent l’efficacité des radars dans la réduction du nombre des collisions et des victimes. À noter que les niveaux de preuve de ces études sont généralement modestes (Pilkington et Kinra, 2005), si bien que l’intérêt des radars, comme toute autre mesure visant à la régulation des vitesses, reste source de controverse. En particulier, certains soutiennent que les petits excès de vitesse (inférieurs à 10 km/h au-dessus de la limite autorisée) ne sont pas dangereux et ne devraient pas être punis – alors que les amendes en France pour ce type de délit vont de 45 à 450 euros et s’accompagnent d’un retrait d’un point sur le permis de conduire.

Pour contribuer à ce débat, nous avons cherché à déterminer la fraction des accidents mortels attribuable aux petits excès de vitesse, et son évolution récente. Pour y parvenir, nous avons étudié la relation entre le nombre d’accidents mortels et la distribution des vitesses à l’aide d’un modèle polynomial présenté ci-dessous. Ce modèle nous permet ensuite de déduire des estimations des fractions des accidents mortels attribuables aux différents types d’excès de vitesse (et notamment aux petits excès de vitesse).

2 Matériel et méthodes

Nous décrivons ici le modèle polynomial que nous avons construit pour relier le nombre d’accidents mortels à la distribution des vitesses. Nous présentons également les méthodes utilisées pour (i) estimer les coefficients de ce modèle et (ii) en déduire les fractions des accidents mortels attribuables aux différents types d’excès de vitesse. Dans un premier temps, nous décrivons rapidement les données utilisées pour ce travail.

2.1 Les données

Les données concernant les distributions des vitesses et les nombres d’accidents mortels sur la période 2001-2010 nous ont été fournies par l’ONISR (Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière). Depuis plus de dix ans, l’ONISR a conçu un plan de sondage visant à la constitution d’un échantillon représentatif de la distribution des vitesses sur la totalité du réseau français et supposé garantir une représentation fidèle de son évolution sur le long terme (Cf. pages 308-309 dans NIORS, 2010). Les distributions des vitesses sont ensuite ajustées sur la période de l’année (divisée en trois quadrimestres : Q1 de janvier à avril, Q2 de mai à août et Q3 de septembre à décembre), le moment de la « journée » (jour ou nuit), le réseau (routes départementales, nationales, autoroutes, …) et le type de véhicule (VL, PL, …). La vitesse n’est cependant pas mesurée la nuit sur certains réseaux, pour des raisons de sécurité du personnel. C’est notamment le cas pour les routes départementales. Par ailleurs, les données correspondant au troisième quadrimestre de l’année 2008 ne sont pas disponibles.

En France, comme dans de nombreux autres pays, les accidents mortels sont répertoriés depuis des dizaines d’années par les autorités. L’ONISR nous a fourni leurs distributions en fonction des mêmes critères que ceux utilisés pour ajuster les distributions des vitesses (quadrimestre, jour ou nuit, réseau, type de véhicule). Jusqu’en 2004, un accident était considéré comme mortel si au moins une personne impliquée dans l’accident décédait dans les six jours suivant l’accident, alors que depuis 2005, la période a été allongée à trente jours. L’ONISR utilise un facteur correctif de 1,069 pour estimer les nombres de décès à 30 jours à partir des nombres de décès à 6 jours (notamment pour les comparaisons internationales de mortalité routière avant 2004). Ici, nous avons utilisé le facteur correctif 1,065 pour les nombres d’accidents mortels avant 2004. Ce facteur a été calculé à partir du nombre moyen de décès par accident mortel sur la période 2001-2010 et du facteur correctif 1,069 utilisé par l’ONISR ; d’autres valeurs (dans l’intervalle [1,065-1,075]) ont été testées : les résultats n’étaient que marginalement affectés par ce facteur.

Pour améliorer la précision de nos résultats, et aussi parce qu’ils constituent le cœur du débat actuel, nous nous sommes uniquement intéressés aux accidents mortels impliquant les VL. Nous avons aussi choisi de privilégier les routes départementales, qui concentrent la plupart du trafic et des accidents mortels. À titre de comparaison, nous présenterons également quelques résultats portant sur les routes nationales bidirectionnelles. Seules les observations de jour ont été utilisées, puisque les données de nuit n’étaient pas disponibles sur les routes départementales, comme indiqué précédemment.

L’ONISR nous a fourni les nombres d’accidents mortels (n) et les distributions de vitesse ((fj)1jJ) pour chaque quadrimestre de la période 2001-2010, à l’exception du troisième quadrimestre de l’année 2008. Ici fj représente la proportion de voitures circulant à la vitesse vj, où (vj)1jJ est une discrétisation de la vitesse (les classes ≤40 km/h, ]40-50] km/h, …, ]180,190] km/h et >190 km/h ont été utilisées). Vingt-neuf observations des ni et (fij)1≤j≤J étaient à notre disposition (chaque observation i correspondant à un quadrimestre particulier d’une année particulière). L’ONISR nous a également fourni les nombres de voitures circulant sur les routes nationales pour chaque quadrimestre de la période 2001-2010; comme précisé ci-dessous, seules les tendances sont nécessaires pour ces données et l’on peut s’attendre à ce que les tendances sur routes départementales soient très similaires à celles observées sur les routes nationales.

2.2 Le modèle

2.2.1 Modèle de base

Le principe du modèle considéré ici est similaire à celui des équations de Nilsson (1981, 2004). En particulier, seule la vitesse est considérée impacter le risque d’accident mortel (i.e., on n’étudie ici que l’effet marginal de la vitesse sur le risque d’accident mortel). Dans ce cadre, une hypothèse naturelle, faite également par Nilsson (1981, 2004), est que le risque d’accident mortel augmente avec la vitesse au moins aussi vite que l’énergie cinétique. Ainsi, pour un trafic homogène constitué de N véhicules, roulant tous à la vitesse v, la probabilité p et le nombre n d’accident mortel sont donnés par :

pour un entier K ≥ 2 et des paramètres αk, k ≥ 1. Dans cette équation, ε est un bruit aléatoire.

Puisqu’on peut naturellement supposer que n et p sont des fonctions croissantes de la vitesse v, on impose de plus que αk ≥ 0. Le paramètre K est fixé ici à K=4, qui est la valeur utilisée dans l’équation de Nilsson reliant la vitesse moyenne au nombre d’accidents mortels (Nilsson 1981, 2004) ; cette valeur est conforme à l’intuition, puisque tant le risque d’accident que sa sévérité sont supposés proportionnels à l’énergie cinétique.

En pratique, cependant, même sur un réseau particulier (tel que les routes départementales de jour, par exemple), la vitesse est très hétérogène. Étant donnée une discrétisation {v1,…, vJ} de la vitesse, et en notant fj la proportion de voitures circulant à la vitesse vj, le précédent modèle devient :

(1)

. Dans la suite, les valeurs vj correspondent aux centres des classes pour les classes du type ]40-50] km/h, et ont été fixées à 35 km/h et 195 km/h pour les classes ≤ 40 km/h et >190 km/h respectivement.

 

Le modèle décrit dans l’équation (1) appartient à la famille des modèles polynomiaux, tout comme les équations de Nilsson’s.

Avec ni, Ni et fi,j dénotant respectivement le nombre d’accidents mortels, le nombre de voitures sur la route et la proportion de voitures circulant à la vitesse vj sur la période de temps i, et avec , des estimateurs des paramètres αk du modèle (1) peuvent être obtenus comme solution du problème d’optimisation :

(2)

connu dans la littérature sous le nom de « non-negative least-squares ». Pour le résoudre, on a utilisé ici le package penalized du logiciel R.

Le modèle peut être reparamétré en définissant Ni comme le ratio du nombre de voitures sur la route pour l’observation i sur le nombre de voitures sur la route pour l’observation 1 (de telle façon que N1 =1). Avec cette nouvelle définition de Ni, le paramètre αk correspond alors à , où est le nombre de voitures sur la route au premier quadrimestre de l’année 2001. Avec cette nouvelle paramétrisation, seules les tendances du nombre de voitures sur la route sont nécessaires ; comme indiqué ci-dessus, ces tendances ne sont disponibles que pour les routes nationales, mais on peut supposer que celles des routes départementales sont similaires. On a donc opté pour cette paramétrisation, avec Ni mesuré sur les routes nationales.

2.2.2 Améliorations apportées au modèle de base

Les nombres d’accidents mortels et les distributions des vitesses sur les routes départementales et nationales (de jour) étaient disponibles pour chaque quadrimestre. La Figure 1 décrit l’évolution des vitesses moyennes et des nombres d’accidents mortels sur les routes départementales sur la période 2001-2010, en fonction du quadrimestre. Les tendances sur les routes nationales sont similaires (résultats non présentés). Aucune différence entre les quadrimestres n’apparaît au niveau des vitesses moyennes. En revanche, on observe beaucoup plus d’accidents mortels au deuxième quadrimestre par rapport aux deux autres. Plusieurs explications peuvent être mises en avant pour expliquer ce phénomène. D’abord, c’est pendant le deuxième quadrimestre qu’ont lieu les ponts des mois de mai et juin, ainsi que la plupart des vacances d’été : on peut donc supposer que plus de véhicules circulent durant le deuxième quadrimestre. Mais surtout, le jour dure en moyenne 45 % de plus pendant Q2 que pendant Q1 ou Q3, et il est donc logique d’observer plus d’accidents mortels en journée pendant Q2. Pour tenir compte de ces spécificités du deuxième quadrimestre, des termes d’interaction entre Xk et Q2 ont été ajoutés au modèle. Plus précisément, en notant Q la variable à valeurs 1, 2 et 3 pour les observations relevées en Q1, Q2 et Q3 respectivement, le modèle (1) devient

(3)

est une fonction indicatrice: i.e., =1 si , et 0 sinon.

Le modèle a également été amélioré afin de prendre en compte les améliorations, en termes de sécurité routière, au cours du temps (tant au niveau des véhicules que de l’infrastructure). Pour ce faire, l’année calendaire a été ajoutée au modèle. Cependant, cette variable étant très corrélée à la distribution des vitesses sur la période 2001-2010, nous avons eu recours à une procédure en deux étapes pour l’estimation de ce nouveau modèle. Le modèle (3) a tout d’abord été construit à l’aide du package penalized afin de contraindre . Cette première étape conduit à des estimateurs initiaux pour , de la forme

.

Ensuite, en posant , un modèle de régression linéaire standard, de la forme a été construit, par la méthode des moindres carrés ordinaires. Cette deuxième étape conduit à des estimateurs et pour les paramètres et . Les estimateurs « finaux » des ni sont alors donnés par

, (4)

où nous rappelons que.

2.3 Fractions des nombres d’accidents mortels attribuables aux excès de vitesse

À partir des estimateurs ,, les estimateurs des nombres d’accidents mortels ont été obtenus à partir de l’équation (4). On peut également obtenir des estimateurs des nombres d’accidents mortels que l’on aurait observés pour des distributions de vitesses différentes de celles relevées. Par exemple, en posant , les nombres d’accident mortels que l’on aurait observés (en espérance) si aucun véhicule n’avait circulé à une vitesse supérieure à la limite autorisée (90 km/h sur les routes départementales et nationales en France) sont estimés, sous notre modèle, par :

.

De manière analogue, on peut calculer les nombres d’accidents mortels que l’on aurait observés sous différents scenarii concernant les distributions des vitesses. Nous avons considéré quatre scenarii ici. (i) Si seuls les petits excès de vitesse (<10 km/h au-dessus de la limite) étaient éliminés, les véhicules de la classe ]90-100] km/h se retrouveraient dans la classe ]80-90] km/h; cela conduirait à accidents mortels, estimés par . (ii) Si seuls les excès modérés ([10-20[ km/h au-dessus de la limite) étaient éliminés, les véhicules de la classe ]100-110] km/h se retrouveraient dans la classe ]80-90] km/h; cela conduirait à accidents mortels, estimés par . (iii) Si seuls les grands excès de vitesse ([20-30[ km/h au-dessus de la limite) étaient éliminés, les véhicules de la classe ]110-120] km/h se retrouveraient dans la classe ]80-90] km/h; cela conduirait à accidents mortels, estimés par . Finalement, (iv), si seuls les très grands excès de vitesse (≥ 30 km/h au-dessus de la limite) étaient éliminés, les véhicules des classes ]120-130] km/h, ]130-140] km/h, …, >190 km/h se retrouveraient dans la classe ]80-90] km/h; cela conduirait àaccidents mortels, estimé par .

À partir de ces quantités, on peut estimer les fractions des accidents mortels attribuables aux différents excès de vitesse par , (e.g., tout excès de vitesse pour S=0, petits excès de vitesse seuls pour S=1, etc.).

3 Résultats

3.1 Description des données

Les évolutions des vitesses moyennes et des nombres d’accidents mortels sont présentées en Figure 1, pour les VL sur routes départementales, de jour. Les vitesses moyennes ont diminué de 92,5 km/h en 2001 à 81,5 km/h en 2010, principalement entre 2003 et 2007 (rappelons que le CSA date de 2003 en France). Le Tableau 1 précise cette évolution. En particulier, les véhicules circulant en excès de vitesse représentaient 55,4 % de l’ensemble des véhicules en 2001, et seulement 25 % en 2010. Il apparaît également clairement que la diminution des vitesses moyennes décrite en Figure 1 est principalement due à la chute du nombre de véhicules roulant en excès de vitesse “moyen” à “très grand” (i.e. à une vitesse supérieure à 10 km/h au dessus de la limite) : ces véhicules représentaient 32,3 % de l’ensemble des véhicules en 2001, et seulement 6,9 % en 2010. La proportion des petits excès de vitesse (inférieure à 10km/h au-dessus de la limite) a diminué beaucoup plus lentement : approximativement 23 % entre 2001 et 2005, 20 % entre 2006 et 2007 et 18 % entre 2008 et 2010.

e

Figure 1: (Gauche) Évolution des vitesses moyennes. (Droite) Évolution du nombre d’accidents mortels (lignes pleines) ainsi que leurs estimations à partir de notre modèle (pointillés). Les courbes sont ajustées sur le quadrimestre (Q1, Q2, Q3), et correspondent aux observations ou estimations faites pendant la période 2001-2010 sur les routes départementales, en journée (pour les VL). Les données relatives au troisième quadrimestre de l’année 2008 ont été obtenues par interpolation simple.

 

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Non excès

44,6 %

46,3 %

53,8 %

60.4 %

65,7 %

69,6 %

72,0 %

75,4 %

73,8 %

75,0 %

Excès <10 km/h

23,2 %

24,8 %

24,9 %

23,9 %

21,2 %

20.4 %

20.0 %

17,5 %

19,3 %

18,2 %

Excès de 10 à 20 km/h

18,0 %

16,0 %

13,6 %

10.9 %

9,1 %

7,2 %

5,8 %

5,1 %

5,1 %

5,2 %

Excès de 20 à 30 km/h

8,6 %

7,9 %

5,1 %

3,0 %

2,8 %

1,9 %

1,5 %

1,4 %

1,4 %

1,2 %

Excès >30 km/h

5,7 %

5,0 %

2,6 %

1,9 %

1,2 %

0,8 %

0,7 %

0,6 %

0,4 %

0,5 %

Tableau 1: Évolution de la proportion de VL circulant à 90 km/h ou moins (non excès), entre 90 et 100 km/h (excès <10 km/h), entre 100 et 110 km/h (excès de 10 à 20 km/h), entre 110 et 120 km/h (excès de 20 à 30 km/h) et au-delà de 120 km/h (excès >30 km/h), sur routes départementales de jour en France sur la période 2001-2010.

Les accidents mortels ont également diminué entre 2001 et 2010, de 1035 à 561. Cette diminution est observée pour chaque quadrimestre, mais globalement, beaucoup plus d’accidents mortels surviennent pendant Q2 (phénomène que l’on peut au moins partiellement expliquer par les particularités de Q2 mentionnées au paragraphe 2.1.2). Les résultats sur les routes nationales bidirectionnelles sont similaires et donc non présentés. Le nombre de véhicules en circulation a quant à lui augmenté linéairement de 20 % sur la période 2001-2010, et ce pour chaque quadrimestre. En moyenne, les ratios du nombre de véhicules sur la route en Q2 et Q3 par rapport à Q1 valent 1,25 et 1,05 (ils sont quasiment constants sur l’ensemble de la période considérée).

3.2 Estimation du modèle

Les estimations des paramètres du modèle sont données dans le Tableau 2 pour les routes départementales (les estimations pour les routes nationales bidirectionnelles étaient analogues). Concernant les coefficients , seuls les coefficients ont été retenus par la procédure de sélection. Notre modèle se rapproche alors encore des équations de Nilsson où seul figure le terme d’ordre 4 également.

 

Paramètre

β0

β1

α4

γ4

Estimation

27,00

7,14

2,7e-6

5,4e-7

 

Tableau 2: Paramètres estimés pour le modèle construit sur les routes départementales.

Par ailleurs, on observe que, confirmant l’hypothèse d’amélioration globale de la sécurité – des véhicules et/ou des infrastructures – au cours de cette décennie. Étant donnés ces paramètres estimés, les nombres d’accidents mortels prédits par le modèle peuvent être calculés et comparés aux observations faites pour chaque quadrimestre sur l’ensemble de la période ; la Figure 1 présente les résultats de cette comparaison. Malgré la simplicité de notre modèle – qui ne comprend que quatre paramètres – son adéquation aux données est bonne : par exemple, on a un R² de 0,84 sur les routes départementales (et même 0,91 sur les routes nationales).

3.3 Fractions des accidents mortels attribuables aux excès de vitesse

Les nombres d’accidents mortels attribuables aux différents types d’excès de vitesse ont été estimés selon la méthode décrite au paragraphe 2.3 ; ils sont représentés sur la Figure 2, à gauche pour les routes départementales et à droite pour les nationales. Globalement, sur les routes départementales, les nombres d’accidents mortels attribuables à chacun des types d’excès de vitesse (des plus petits aux plus élevés) ont tous diminué sur la période 2001-2010. Plus précisément, on observe une diminution lente des nombres d’accidents mortels attribuables aux petits excès de vitesse (<10 km/h au-dessus de la limite), et une diminution beaucoup plus brutale de ceux dus aux grands et très grands excès de vitesse (entre 20 et 30 km/h au-dessus de la limite et au-delà de 30 km/h au-dessus de la limite). La fraction des nombres d’accidents mortels attribuables aux grands ou très grands excès de vitesse (> 20 km/h au-dessus de la limite) est ainsi passée de 25 % à 6 %, et cette chute est particulièrement sensible entre 2003 et 2004 (i.e., tout de suite après la mise en place du CSA). Sur la période 2001-2010, la fraction des accidents mortels attribuables aux excès de vitesses modérés (entre 10 et 20 km/h au-dessus de la limite) est passée de 13 à 9 %, alors que celle des accidents mortels dus aux petits excès de vitesse (<10 km/h) est passée de 7 à 13 %. Ces petits excès de vitesse représentaient, selon notre modèle, 16 % des 425 accidents mortels attribuables à un excès de vitesse en 2001, et 46 % des 133 accidents mortels attribuables à un excès de vitesse en 2010. Les tendances sur routes nationales sont très proches, comme le montre le graphique de droite de la Figure 2.

4 Discussion

Sur la période 2001-2010, la proportion des véhicules en grands ou très grands excès de vitesse a chuté très sensiblement, notamment entre 2003 et 2007, alors que la proportion de véhicules circulant en petits excès de vitesse a diminué beaucoup plus lentement. Par suite, et selon notre modèle, la fraction des nombres d’accidents mortels attribuables aux petits excès de vitesse, parmi ceux attribuables aux excès de vitesse en général, est passée de 16 à 46 %.

Figure 2: Estimation des nombres d’accidents mortels attribuables aux différents types d’excès de vitesse. (Gauche) Sur routes départementales (Droite) Sur routes nationales bidirectionnelles.

Il est important de remarquer que nous avons travaillé sur les nombres d’accidents mortels, et non les nombres de décès. La raison est principalement d’ordre statistique puisque les données relatives aux nombres de décès ne sont pas indépendantes, plusieurs décès pouvant survenir dans un même accident mortel. Les tendances suggérées par nos résultats seraient sans doute amplifiées en considérant les nombres de décès puisque le nombre moyen de décès par accident mortel augmente avec la vitesse (et est ainsi passé de 1,12 à 1,08 sur la période 2001-2010 en France). C’est d’ailleurs également ce que suggèrent Elvik et al. (2004) en rappelant que l’exposant du terme de vitesse dans les équations de Nilsson est plus élevé lorsque les décès, plutôt que les accidents mortels, sont analysés (voir aussi Cameron et Elvik, 2010).

Une question plus fondamentale est celle de la validité de notre raisonnement quant à l’estimation des fractions attribuables aux excès de vitesse. L’hypothèse de départ est assez forte : un conducteur qui réduirait sa vitesse de 110 km/h à 90 km/h ramènerait alors son risque au niveau de celui d’un conducteur qui roule « à la base » à 90 km/h. Or on sait que les autres facteurs de risque d’accident (par exemple l’alcool, qui est en cause dans approximativement le tiers des accidents mortels en France) ne se distribuent pas uniformément dans les différentes classes de vitesse : par exemple, excès de vitesse et ébriété ne sont pas indépendants. Ainsi, pour un conducteur en excès de vitesse, le simple fait de réduire sa vitesse pourrait ne pas être suffisant, en soi, pour ramener son risque au niveau de celui d’un conducteur respectant les limitations de vitesse, si d’autres facteurs de risque d’accident (alcool, utilisation du téléphone, etc.) persistent. Cependant, cette réserve ne semble pas pertinente ici, pour plusieurs raisons. D’abord, même si l’alcool au volant et la vitesse sont deux facteurs corrélés, leur association n’est ni systématique ni même prépondérante. De plus, certains facteurs de risque d’accident ne sont pas corrélés à la vitesse, ou sont associés à des vitesses réduites (comme le déclin des capacités dû à l’âge). On peut donc s’attendre à ce que ces facteurs compensent ceux associés à une augmentation de la vitesse. Par ailleurs, notre étude se concentre sur une période de temps relativement courte (une décennie), pendant laquelle la distribution des vitesses a été très largement modifiée alors que celles des autres facteurs de risque d’accident ont très peu évolué. Par exemple Hauer (2010) soulignait qu’aucune modification significative des infrastructures n’avait eu lieu entre 2001 et 2010. Dans le cas contraire, cette évolution serait partiellement prise en compte par la variable « année calendaire » de notre modèle. Enfin, et surtout, notre modèle repose sur un polynôme d’ordre 4, d’après des lois de physique élémentaire. Des polynômes d’ordre supérieur s’ajusteraient mieux à nos données (résultats non présentés), mais de telles fonctions auraient pu abusivement attribuer certains effets à la vitesse, comme ceux décrits ci-dessus.

Une autre objection consisterait à dire que la vitesse réduit le temps d’exposition au risque d’accident, et par suite le risque d’accident lui-même (voir Pei et al. 2012). Dans le modèle considéré ici, la probabilité p peut être interprétée comme un risque instantané. Le nombre d’accidents mortels pour un quadrimestre donné d’une année serait alors NP, où P représenterait le risque cumulé. Ce dernier serait obtenu en intégrant p par rapport au temps d’exposition, qui correspond à la somme des temps de trajet à une vitesse donnée pendant ce quadrimestre particulier. Puisque le temps de trajet est inversement proportionnel à la vitesse, P serait proportionnel à la vitesse à la puissance trois, multiplié par la distance parcourue à cette vitesse. Ce type de modélisation serait sans doute plus proche de la réalité, mais ne peut être implémenté en pratique puisqu’aucune donnée n’est disponible concernant les distances parcourues à une vitesse donnée sur le réseau.

Par ailleurs, notre modèle est très proche dans son principe de l’équation de Nilsson qui relie les accidents mortels aux vitesses moyennes, et qui est en bonne adéquation avec diverses données de réseaux routiers (Elvik et al., 2004; Cameron et Elvik, 2010). En effet tout comme notre modèle, cette équation utilise la puissance quatrième de la vitesse. Plus précisément, en notant va et vb les moyennes (ou médianes) des vitesses, respectivement avant et après une modification des limitations de vitesse sur un tronçon donné, et na et nb les nombres d’accidents mortels correspondants (sur des périodes de même durée), l’équation de Nilsson suggère que

La différence principale avec notre modèle est que nous considérons la distribution complète des vitesses (et non seulement la moyenne ou médiane), et que les autres améliorations en matière de sécurité routière sont également prises en compte. Les conclusions tirées à partir des deux modèles sont cependant très proches. Sur les routes départementales par exemple, les très grands excès de vitesse représentent 0,5 % des conducteurs en 2010, de telle façon que la suppression de ces excès de vitesse conduirait à une diminution de 0,25 % de la vitesse moyenne, et à une diminution du nombre d’accidents mortels de 1 % selon l’équation de Nilsson (à comparer aux 3 % prévus par notre modèle). Par ailleurs, la suppression des petits excès de vitesse conduirait à des diminutions de 2,3 % pour la vitesse moyenne et, selon l’équation de Nilsson, de 10 % pour le nombre d’accidents mortels (à comparer aux 13 % prévus par notre modèle).

Ces conclusions renforcent le niveau de confiance que l’on peut apporter à notre modèle, mais aussi aux données. La qualité du recensement des accidents mortels n’était pas à mettre en question. Cependant, concernant le plan de sondage pour la collecte des vitesses sur le réseau, aucune étude d’évaluation n’a encore été menée à notre connaissance. La méthodologie n’ayant pas été modifiée sur la période 2001-2010, on pouvait légitimement supposer que les données permettaient de décrire les évolutions de la distribution des vitesses assez fidèlement. La pertinence de notre modèle et la concordance entre ses conclusions et celles tirées du modèle de Nilsson suggère une bonne représentativité des données de ce plan de sondage.

5 Conclusion

Les résultats présentés dans ce travail suggèrent que les politiques de régulation de vitesse actuelles ont été efficaces dans la lutte contre les grands excès de vitesse. Ils suggèrent également que les politiques futures devraient se concentrer sur les petits excès (et les excès modérés) puisqu’ils représentent maintenant la fraction la plus importante des accidents mortels [parmi ceux imputables à des excès de vitesse]. Cela dit, les radars ne sont peut-être pas la solution : le nombre d’accidents mortels diminuerait également si les conducteurs qui circulent à moins de 90 km/h réduisaient leur vitesse. Les politiques de régulation de la vitesse ne peuvent donc pas se baser uniquement sur des estimations de la diminution des nombres d’accidents mortels imputables aux seuls excès de vitesse.

Enfin, nous pouvons supposer que les conclusions de ce travail, soulignant la part prépondérante des petits excès de vitesse dans le nombre global des accidents mortels [imputables à des excès de vitesse], peuvent se généraliser aux autres types de réseau en France (autoroute, …) et à d’autres pays, même si des études complémentaires devraient être conduites pour les confirmer.

Remerciements. Les auteurs remercient Louis Fernique, ainsi que l’ONISR pour la mise à disposition des données utilisées dans ce travail, et notamment Serge Boyer et Christian Roy.

[Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt]

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