État des lieux
Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !
«En 2002, quels étaient les arguments des associations d’automobilistes contre les radars automatiques ? Et à l’époque de l’obligation du port de la ceinture de sécurité ?»
Ce sont sensiblement les mêmes que ceux des opposants à la limitation à 80 km/h sur les routes.
Votre question permet de comparer les arguments des opposants à ces mesures, avec ceux des opposants au passage à 80km/h annoncé par Matignon au début du mois. Revenons d’abord sur les grandes mesures de la sécurité routière :
Dans les années 70 : la généralisation des limitations de vitesse commence. Au même moment, le port de la ceinture sécurité devient obligatoire. D’abord sur les routes, en 1972, puis dans les agglomérations de nuit en 1974 avant de devenir enfin obligatoire à l’arrière en 1990. En 1992 : le permis à points entre en application. En 2002 : les radars automatiques font leur apparition sur les routes.
Vous pouvez retrouver toutes les grandes dates de la sécurité routière ici.(1)
Pour remettre en perspective les arguments des opposants à ces différentes mesures, nous avons contacté Fabrice Hamelin, enseignant-chercheur à l’Université Paris-Est Créteil, spécialiste de la sécurité et de la sûreté dans les transports, en particulier de la sécurité routière. Il nous rappelle que la contestation contre le passage à 80 km/h «est à relativiser. Elle n’est pas si importante que ça». Mais surtout, «on retrouve souvent les mêmes types d’arguments contre les mesures de la sécurité routière. On peut les diviser en trois familles».
Le premier argument porte sur l’efficacité des dispositifs. Le deuxième sur son équité : la mesure est accusée d’être injuste, de toucher les conducteurs lambdas et non les vrais délinquants de la route. Enfin, le troisième argument consiste à contester la légitimité des décideurs, du gouvernement qui annonce la mesure.
Regardons maintenant dans le détail les arguments qui ont été opposés aux mesures phares de la sécurité routière décrites ci-dessus, et observons dans quel cadre elles rentrent dans ce schéma décrit par Fabrice Hamelin.
La ceinture de sécurité
«La ceinture tue», dénonçait le ténor Jérôme Spycket dans un pamphlet de 90 pages publié en 1975 contre la ceinture de sécurité. Prenant l’exemple d’un automobiliste coincé dans sa voiture en feu, il dénonçait le «piège» de ce dispositif. «Elle tuera de plus en plus avec l’extension de son port. Personne n’est aujourd’hui en mesure de dire de bonne foi si la ceinture sauvera plus qu’elle ne tuera. Mais du moment qu’elle tue, cette obligation est injustifiable puisqu’elle ne concernera jamais que celui qui la porte, sans aucune répercussion possible sur la sécurité d’autrui. Tant que l’obligation ne sera pas rapportée, chaque mort due à la ceinture pourra être considérée comme la victime d’un véritable assassinat légal. Il faut rendre à chacun la liberté de boucler ou non sa ceinture.»
On retrouve ici l’argument de l’efficacité (la ceinture ne sert à rien puisqu’elle tue) mais aussi celui de la légitimité (le décideur sera responsable de la mort des victimes tuées par leur ceinture, et en plus il en est de la liberté de chacun dans l’habitacle). «C’est mon problème si je n’ai pas ma ceinture, et ça ne concerne que moi», reformule Fabrice Hamelin.
Sans revenir dans le détail sur l’absurdité de cet argumentaire que personne n’oserait reprendre aujourd’hui, notons cette réponse de Christophe Ramond, directeur des études et recherches à l’association Prévention routière, dans le Monde en 2014 : «On oublie que, pour pouvoir quitter un véhicule dans l’eau ou en feu, il faut être conscient. Or, sans ceinture, on risque fort d’être assommé par le choc.»
Claude Got, spécialiste d’accidentologie routière, qui travaillait sur les ceintures de sécurité dès les années 70, explique d’ailleurs que lui et ses confrères à l’époque «ne niaient pas les blessures que pouvaient causer les ceintures, mais les lésions étaient sans commune mesure avec les bénéfices. C’est pour réduire ces lésions que les airbags ont notamment été pensés. Comme on a pu le voir avec l’étude du Danemark sur le passage à 80 km/h, les opposants comme Spicket allaient chercher des pseudo-expérimentations pour démontrer l’inefficacité supposée du dispositif qu’ils pourfendaient».
Alors que le port obligatoire de la ceinture de sécurité est aujourd’hui un acquis que personne n’oserait remettre en cause, notons l’abondance de personnes interrogées «pas convaincues du tout» dans les années 70. Ou qui la jugent vraiment pas pratique «pour les manœuvres» comme on peut le voir dans ces vidéos de l’Ina, notamment reprises dans le webdoc diffusé par la Sécurité routière en 2012 à l’occasion de ses 40 ans.
En plus du «piège mortel» que constitue la ceinture, son équité était elle aussi remise en cause. Troisième argument récurrent. Pour les professionnels de la route, chauffeurs-livreurs… le fait de devoir enlever et remettre sa ceinture était considéré comme une perte de temps, rappelle Fabrice Hamelin. Cette obligation allait donc pénaliser en premier ceux qui ont besoin de leur voiture comme outil professionnel.
Le port de la ceinture a été rendu obligatoire progressivement, en même temps que la généralisation des limitations de vitesse. Pour le chercheur, la ceinture de la sécurité a donc été vue comme un compromis : «On nous permet de rouler vite, à condition que l’on mette une ceinture.» «Autojournal, par exemple, mettait en avant le port obligatoire de la ceinture pour montrer qu’il y avait d’autres moyens, plus pertinents selon eux, que la baisse de la vitesse.»
Notons aussi que les limitations de vitesse ont notamment été acceptées grâce au… choc pétrolier, explique le chercheur. «Il y avait une vraie crainte sur le coût du carburant, et c’est ce qui a fait taire la contestation. Cet argument économique, allié à l’argument écologique, on le retrouve pour justifier du passage à 80 km/h.»
Les radars automatiques et le permis à point
Là aussi, les opposants à ces dispositifs reprennent les trois arguments décrits plus hauts par Fabrice Hamelin. Premièrement : l’équité de la mesure. Ainsi, les radars automatiques toucheraient surtout les conducteurs lambdas, qui font des petits excès de vitesse et ont vraiment besoin de leur voiture, sans s’attaquer aux vrais délinquants routiers, selon cet argumentaire. De même, couplé au permis à point, le dispositif nuirait à ceux qui ont vraiment besoin de leur voiture : ceux qui s’en servent le plus vont perdre le plus de points, risquer de perdre leur permis et même leur emploi (s’ils ont besoin de leur voiture pour aller travailler). «On entendait même que la mesure allait créer 30 000 chômeurs supplémentaires !» se souvient l’accidentologue Claude Got.
«C’est l’idée d’un système aveugle qui est pointé du doigt, comme pour le passage à 80 km/h où l’on entend que cette mesure ne tient pas compte de la réalité des routes et favorise les Parisiens qui ne peuvent de toute façon pas rouler vite alors qu’elle pénalise les ruraux qui sont vraiment sur les routes, confirme Fabrice Hamelin. Les vrais opposants au permis à point étaient les professionnels de la route, qui demandaient plus de points.»
Deuxième argument : la crédibilité des décideurs. Ainsi, ils auraient mis en place les radars automatiques uniquement pour… avoir des rentrées fiscales supplémentaires. «C’est le fameux argument du radar pompe à fric», résume Fabrice Hamelin. Comme nous l’expliquions dans une précédente réponse CheckNews, 92% des 920 millions rapportés par les radars automatiques en 2016 ont pourtant été affectés à la lutte contre l’insécurité routière. Seuls les 8% restants ont servi au désendettement de l’Etat.
Rappelons au passage que la lutte contre les radars automatiques a assez peu mobilisé en 2002 selon les spécialistes. «Il y a eu des contestations individuelles, des dispositifs brûlés… mais peu de mobilisations de la société civile à part les motards en colère, qui sont assez peu représentatifs», rappelle Fabrice Hamelin. La véritable contestation a repris en 2007, juste avant les élections, puis en 2010, «grâce à une politisation de ces enjeux par la droite populaire». Le milieu associatif s’est aussi transformé à ce moment-là, avec la montée en puissance de 40 Millions d’automobilistes et la ligue de défense des conducteurs.
Qu’en est-il du dernier argument normalement invoqué (l’efficacité de la mesure) ? Si les radars automatiques ont été assez peu contestés lors de leur mise en place en 2002, c’est parce qu’ils ont fait drastiquement baisser le nombre de morts sur la route. Au moment de leur apparition, entre 2002 et 2005, la vitesse moyenne de jour est passée de 92 à 85 km/h, et la mortalité sur les routes à double sens hors agglomération a diminué de… 37%, comme nous l’expliquions dans une précédente réponse CheckNews sur la baisse à 80 km/h.
Mais, alors que l’on constate une nouvelle hausse de la mortalité depuis 2014, l’efficacité d’une baisse de la vitesse sur les routes est de nouveau remise en cause. Les radars automatiques ne serviraient à rien, entend-on désormais.
En résumé, les arguments des opposants aux radars automatiques et au port de la ceinture de sécurité sont sensiblement les mêmes qu’aujourd’hui. L’injustice, l’inefficacité et le manque de légitimité du gouvernement sur le sujet ont tous été mis en avant par les opposants au passage à 80 km/h.
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