Editorial de Pondération n°118 mai 2019

Chantal Perrichon Présidente de la fédération de la Ligue contre la violence routière

Savamment entretenue par les opposants au 80 km/h, à coups d’amendements et de communiqués de presse contreproductifs, car ils saturent les rédactions, la pression était
manifeste ce jeudi 25 avril. Le sujet serait-il abordé par le Président directement ? Ferait-il l’objet d’un questionnement par les journalistes ? Le Premier ministre se verrait-il abandonné par le Président ? Les ingrédients étaient là pour que tous ceux qui sont mobilisés depuis des années dans un engagement sans faille en faveur de la sécurité routière se retrouvent devant leur écran.

N’en déplaise aux lobbies, ce 80, rendu responsable des misères et des injustices de notre pays, est apparu comme ce qu’il était véritablement : le faux-nez de la droite, de l’extrême droite et des lobbies pro-vitesse qui ne cherchent qu’à régler leurs comptes avec le gouvernement, au mépris de la vie des gens. Les regrets exprimés par P. Brémond, vice-président de conseil départemental en charge des routes des Deux-Sèvres, en attestent quand il commente le discours du Président : « Sans doute n’a-t-il pas considéré ce sujet prioritaire, et peut-être attend-il la fin de l’expérimentation de deux ans pour amender… »(1). Avant de se précipiter dans la permutation des panneaux qui lui tient tant à cœur, il va falloir auparavant qu’il potasse assidûment les textes qui régissent les obligations des commissions départementales de sécurité routière. Ainsi, il découvrira le rôle consultatif des dites commissions, assujetties aux pouvoirs propres des Préfets… C’est heureux, car savoir que notre vie dépend de l’ignorance et de l’incompétence d’élus uniquement préoccupés par leur réélection est inquiétant.

Bien malin qui pouvait, à l’issue de cette conférence de presse, se targuer de connaître la pensée présidentielle. Pour notre part, après échanges avec les militants de la Ligue, une impression dominait : avec moins d’emphase, moins de théâtralité dans le ton, E. Macron nous avait servi un :
« Je vous ai compris !(2) ». À chacun ensuite de faire son marché, d’imaginer, subodorer, de croire ce qu’il souhaitait entendre ou ignorer ce qui n’était pas explicite.

L’ambiguïté n’aura pas duré longtemps et, sans la ténacité du Premier ministre, il est vraisemblable que la vente à l’encan du 80 aurait commencé dans la foulée. Pour clore le séminaire gouvernemental de ce lundi 29 avril, E. Philippe a laissé entendre que dans un vaste dialogue qui débuterait en juin avec les collectivités locales, « le sujet des 80 km/h qui
a crispé les territoires, pourrait revenir sur la table ».

Fin des supputations, des extrapolations hasardeuses sur les choix du Président : la pression de certains ministres, de conseillers, d’élus et des lobbies l’emporte sur ses résolutions et pulvérise les propos qu’il a tenus quelques heures auparavant devant des millions de personnes : « Je pense que diriger aujourd’hui, quel que soit le pays, c’est accepter de ne pas être populaire. Et je préfère être responsable, tenir mes engagements, prendre des décisions que je crois bonnes avec le gouvernement pour notre pays et être impopulaire, plutôt que chercher à séduire d’une manière qui serait toujours éphémère. Donc j’assume ».

Ce choix de l’impopularité serait-il à géométrie variable ? Le Président assumerait lorsqu’il s’agit de l’impôt sur la fortune « Cette partie de la réforme, je juge de mon devoir de la défendre. Elle relève du simple pragmatisme et comme c’est une réforme pragmatique elle sera évaluée en 2020 et nous regarderons son efficacité, nous la corrigerons, si elle est trop large et qu’elle a des effets pervers, ils seront corrigés », mais déclarerait forfait, sans attendre la fin de l’expérimentation du 80 en 2020, lorsqu’il s’agit de défendre nos vies sur les routes, de combattre la première cause de mort et de handicap des jeunes adultes de notre pays ? Quant aux élus, ils protestent de leur bonne foi et veulent montrer tout l’intérêt qu’ils portent à leurs concitoyens. MAIS, oui il y a toujours un MAIS, il ne faut pas leur en remontrer, les routes ce sont leurs routes, ils les connaissent, les parcourent depuis des années, et savent les classer en fonction de leur largeur, de la qualité de leur macadam et des belles perspectives bien droites qui permettent d’aller vite sans courir de risque… Ce ne sont pas des citadins favorisés par les transports en commun et les experts qui vont leur expliquer avec des cartes et des statistiques que le trafic et la vitesse déterminent le nombre de tués sur les routes.

Ces aberrations, cette ignorance crasse, nous allons les payer au prix fort. Nous les devons à l’échec de l’exécution de la politique choisie par E. Philippe. Les services de l’État n’ont pas fait leur travail et c’est le Premier ministre qui a fait un acte de contrition publique : « La bonne foi, c’est celle qui m’a par exemple conduit à instaurer les 80 km/h, parce que je ne pouvais accepter l’hécatombe quotidienne qui brise des vies, des familles, des existences… Je voulais sauver des vies, on m’a accusé de vouloir remplir les caisses de l’État ». Il constate « la défiance » des Français. Mais d’où vient-elle ? Certes, de l’orchestration perverse menée par les lobbies qui eux n’ont pas failli dans leur organisation, mais aussi de la carence des institutions. Quand aurons-nous un service de l’État en charge de lutter contre les infox qui nous submergent ? Pas simplement une micro-rubrique de mise au point qui renseigne ceux qui le sont déjà, non, un groupe d’experts capables d’argumenter, de débattre, d’anéantir les mensonges à répétition qui polluent notre société. Ce ne sont pas les fonctionnaires compétents qui font défaut, c’est leur management ! Le constat que nous ne cessons de dénoncer depuis des mois, le Président l’a rappelé : « Quand on n’explique pas suffisamment, quand on ne convainc pas suffisamment, quand on n’associe pas suffisamment les élus qui sont sur le terrain, les partenaires sociaux, on peut prendre les bonnes décisions, ils disent : on me les a imposées ».

Et maintenant ?

Une prévention efficace doit exploiter les méthodes qui ont fait leur preuve, en choisissant des décideurs compétents. Il est urgent de redonner une efficacité aux contrôles de vitesse. Le simple remplacement d’un radar fixe traditionnel par un radar tourelle beaucoup plus performant pour flasher différentes infractions sur plusieurs voies au même moment, mais tout aussi vulnérable face aux attaques des abrutis coupables de détruire les radars, n’est plus tolérable. Combien de temps et combien de morts supplémentaires avant de revoir, au nom de l’intérêt général, un marché public devenu caduc ? Les Anglais ont compris depuis plusieurs années que les radars fixes étaient obsolètes et leur préfèrent des radars embarqués dans des véhicules banalisés. Leurs résultats sont à la hauteur de leur politique.

L’Histoire a souvent montré que l’impréparation, le manque de prévision stratégique se payaient très cher. Un autre exemple : pendant la première Guerre mondiale, en France, des milliers de soldats sont morts sur le front, car vêtus d’uniformes anciens, inadaptés qui les signalaient facilement à l’ennemi. Un ministre de la guerre avait cru bon de bloquer la décision de protéger ceux qui risquaient leur vie loin des bureaux en s’exclamant : « Supprimer le pantalon rouge ? Non ! Le pantalon rouge c’est la France »(3). Pour l’honneur, il n’était pas question de se dissimuler au regard des adversaires ! Il faudra attendre 1915 pour que les soldats reçoivent enfin des uniformes plus adaptés et ne servent plus de cible.

Les Britanniques quant à eux, plus soucieux de la vie de leurs hommes, utilisaient déjà des couleurs moins voyantes…

En Belgique, les contrôles par radars invisibles sont acceptés, et il ne viendrait pas à l’esprit des autorités belges qu’il faille être fair play et claironner aux délinquants de la route qu’ils vont être contrôlés…

Sans parler des Suisses qui interdisent les avertisseurs de radars…

Greffiers fidèles de la mémoire de la sécurité routière, nous n’oublierons pas la célérité de proches(4) du Président qui se sont emparés des micros avant même la tenue du séminaire gouvernemental, pas plus que la précipitation des politiques(5) pour rassurer tous azimuts les populistes en leur promettant d’« aller vite » pour revenir à l’état antérieur. Tristes porte-paroles d’un programme terrifiant : plus de tués sur les belles routes de France, au nom du pragmatisme, du bon sens, de plus d’intelligence… Vous avez dit plus d’intelligence ? Où est-elle ? Aucun président de conseil départemental n’a encore produit une carte routière indiquant les segments de voies, avec leur nombre de tués au cours des 10 dernières années, qui seraient remis à 90 km/h.

Je dédie ce numéro de Pondération à un petit garçon de 11 ans, tué le 3 novembre 2018, sur la route d’Issoudun, à la sortie de Vatan, par un conducteur alcoolisé qui pianotait sur une tablette électronique.


(1) https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/80-km-h-le-departement-pertinent-pour-adapter-la-vitesse
(2) « Je vous ai compris » est la phrase-clé du discours du 4 juin 1958 de Charles de Gaulle à Alger, depuis le balcon du Gouvernement général, devant la foule réunie sur la place du Forum.
(3) Eugène Étienne, ministre de la guerre de janvier à décembre 1913.
(4) Sibeth N’Diaye et François Bayrou.
(5) Stanislas Guerini, Délégué général de LREM, Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales.

État des lieux

Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :

Avec la mobilisation de tous, c’est possible !

Le bilan
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