Analyse bilan sécurité routière – août 2024

 

L’art de positiver le négatif

L’insécurité routière vue par la Délégation à la sécurité routière (DSR) :

  • 3167 tués en 2023 : « C’est la première fois depuis 1926[1], que le nombre de tués sur les routes métropolitaines est inférieur à 3 200 (hors années covid)» (communiqué de presse du 12 juin 2024)
  • 3254 tués pendant les 12 mois précédant septembre 2024 : « Le bilan de cet été (juillet-août) est globalement plus favorable que l’été dernier (22 tués de moins soit

-4%) » (communiqué de presse du 13 septembre 2024).

Il faut dire la vérité

  • Effectivement la mortalité de cet été a baissé de 4%, mais est en hausse de 5,9% sur ces 12 derniers mois par rapport à la même période de l’an passé (voir tableau ci-dessus)
  • En février 2020, la France a pris l’engagement de réduire de moitié le nombre de décès et de blessures graves sur les routes à l’horizon 2030, et atteindre l’objectif ultime zéro décès et blessures graves sur les routes d’ici à 2050.
  • La réalisation de cet objectif implique une baisse moyenne annuelle de 6,7%, ce qui a déjà été réalisé, pendant la décennie 2012-2022 (voir encadré ci-dessus).
  • Depuis la 1ère élection du Président Macron, en mai 2017, c’est 22.923 tués et 115.968 blessés graves. La baisse moyenne annuelle de la mortalité est de 1%.
  • Depuis la nomination, en septembre 2022, de Florence Guillaume, déléguée interministérielle à la sécurité routière, c’est 6.328 tués et 31.660 blessés graves. La baisse moyenne annuelle de la mortalité est de 0,25%.
  • Le fait de ne pas avoir tenu l’objectif, c’est 400 vies qui n’ont pas été sauvées et 17.000 blessés graves qui n’ont pas été épargnés.

En 2022, il y a eu 3.267 tués et 15.611 blessés graves, l’université Gustave-Eiffel estimait le coût de l’insécurité routière de cette année-là à 100 Md€ (Bilan de l’accidentalité de 2022, page 19).

Le 13 septembre 2024, Madame la déléguée interministérielle à la sécurité routière, conclut son communiqué de presse présentant l’accidentalité du mois d’août : « Dans l’élan des jeux olympiques et paralympiques et de la rentrée de septembre, prenons la résolution de continuer à viser l’or sur la route avec des comportements responsables. L’attention aux autres, le respect des règles par chacun conditionnent la liberté pour tous de circuler en toute sécurité ». À la vue de ce bilan catastrophique, de milliers de tragédies humaines, nous attendons de nos décideurs des mesures fortes et efficaces et non des incantations. C’est consternant !

Sur la route, l’accident apparaît comme imprévisible et improbable

Le dictionnaire définit l’accident comme étant un événement plutôt malheureux, qui survient par hasard comme imprévisible et improbable. Il n’y a pas de responsable. On accuse alors la fatalité, comme si l’événement était un défi aux lois du probable. Le fatalisme nous console de ce qui est arrivé.

 

Un exemple : la sécurité du travail

Dans tout le cours du XIXe siècle, la responsabilité des accidents du travail dus à l’essor des activités industrielles posent aux juristes de difficiles problèmes, car il s’agit d’événements involontaires et imprévisibles, se confondant avec le cas fortuit ou la force majeure, mais qui résultent de l’activité humaine et se produisent dans un milieu créé par l’homme et qu’il peut modifier. Ils apparaissent donc comme le fait de l’homme et appellent réparation. Un débat très large est alors engagé à la chambre des députés qui vont présenter, discuter, voter des projets qui seront toujours modifiés et rejetés par le Sénat. Enfin, après 20 ans de débats, la loi Martin Nadaud du 9 avril 1898, qualifiée d’historique, retient la responsabilité sans faute de l’employeur sur le risque professionnel. Le salarié victime d’un accident du travail peut alors demander une réparation, sans avoir à prouver la faute de son employeur. Depuis, la justice se prononce sur ce qu’est un accident du travail.

 

La mise en évidence des facteurs d’accidents

La CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) lance une recherche sur les facteurs qui interviennent dans la genèse des accidents du travail dans les mines et la sidérurgie de 1961 à 1964 (Doc 8082/65 f). À la suite de cette étude, dans les années 1970 l’INRS (Institut National de Recherche et de Santé) invente l’arbre des causes. C’est une méthode qui se base sur la recherche des facteurs ayant concourus à la survenance de l’accident dans le but d’identifier des axes de prévention. Le recueil de ces facteurs d’accidents constitue une source essentielle d’informations pour évaluer et traiter le risque.

Cette enquête se réalise avec des professionnels qui connaissent bien le métier, mais aussi les différentes personnes en charge de la prévention des risques. La constitution de ce groupe de travail est une étape fondamentale pour s’assurer d’engager une discussion factuelle autour des causes objectives et profondes de l’accident. Cette méthode valable pour un accident du travail, l’est aussi pour tout autres évènements non souhaités : « presque accident », malaise, incidents, conflits, ….. , et en particulier les accidents de la route.

 

Chaque jour : 2 morts au travail et 10 sur la route

Dès le début du développement de l’automobile, pour masquer sa responsabilité l’industrie a décidé de détourner l’attention des législateurs de la dangerosité inhérente des voitures vers les actions de la personne au volant comme le résume le slogan de la National Rifle Association of America : « les voitures ne tuent pas les gens, ce sont les gens qui le font. » L’argument de la cause comportementale dans 92% des accidents est fréquemment utilisé dans les campagnes de communication. Bien que le rôle de l’erreur humaine dans les accidents soit substantiel, il reste que les conducteurs qui tuent le font avec un véhicule motorisé et sur des routes. Ce chiffre de 92%, souvent faussement interprété, minimise l’importance du rôle que l’infrastructure et les véhicules jouent sur le niveau de la gravité des blessures. L’étude FLAM de 2021 (facteurs liés aux accidents mortels) précise que les facteurs liés à l’infrastructure sont contributifs dans 30% des accidents suivis des facteurs véhicule dans 20% et des conditions de circulation dans 18% de ces accidents.

L’efficacité des traitements de sécurité des infrastructures est reconnue :

  • les carrefours giratoires bien conçus peuvent réduire les décès jusqu’à 80%, en particulier en remplaçant des carrefours classiques.
  • les passages piétonniers dénivelés réduisent les accidents graves de 85%,
  • les barrières en câbles métalliques, médianes et en bord de route réduisent les accidents mortels jusqu’à 90%,

En ce qui concerne la dangerosité des véhicules, les assureurs évaluent la prime pure des accidents corporels en responsabilité civile pour les véhicules les plus puissants et les plus rapides systématiquement supérieure à celle des plus raisonnables (jusqu´à 2,4 fois).

Par ailleurs nous relevons des éléments du système routier actuel qui n’opèrent pas en cohérence, par exemple sur des routes ne tolérant pas une vitesse de plus de 60 km/h, des usagers sont autorisés à circuler à 90 km/h, avec des motos capables de rouler à 200 km/h. Un militant de la LCVR, de surcroît chauffeur routier, définissait le système routier comme étant des hommes d’aujourd’hui au volant de véhicules de demain sur des routes d’hier.

La police et les procureurs enquêtent sur les accidents, en mettant l’accent sur les actions des usagers de la route. Compte tenu de ces seules enquêtes, les autorités envisagent les collisions routières principalement sous l’angle de la justice pénale. L’insistance sur le rôle de la responsabilité individuelle et sur le rejet du blâme sur la victime évite souvent aux autorités concernées de pleinement assumer leur responsabilité.

Un système routier sûr

L’approche traditionnelle qui place l’attention des actions sur des véhicules plus sûrs, des routes plus sûres, et des usagers plus sûrs, ne permet plus aucun progrès significatif en matière de sécurité routière. Cette approche n’est pas suffisante, il faut une approche globale qui agit sur les éléments et entre eux-mêmes et leur environnement : c’est l’ensemble du système routier qui doit être intrinsèquement sûr (voir graphique ci-dessous).

Pour cela, à l’exemple de la sécurité du travail, la sécurité routière doit se tourner vers une approche systémique qui aborde les interfaces critiques entre ces éléments. Les véhicules et les routes doivent être conçus pour être compatibles avec l’élément humain. Cette responsabilité partagée d’une meilleure conception est un élément crucial d’un système sûr.

C’est pourquoi, nous, préventeur de la Ligue contre la violence routière, considérons que l’accident de la route tout comme l’accident du travail est une conséquence du dysfonctionnement du système routier qui a une incidence sur l’intégrité de l’individu. Pour découvrir les causes de l’accident il faut le replacer dans son contexte en considérant qu’il ne s’agit pas d’un problème isolé ou indépendant du système dans lequel il survient. Il faut mener des enquêtes de sécurité, type arbre des causes, parallèlement à toutes enquêtes policières. Cette recherche renvoie à des causes profondes qui concernent à la fois l’homme, le véhicule, l’infrastructure, mais aussi l’environnement et l’organisation de la situation dans laquelle cet individu évolue. Toutes les causes de l’accident interagissent les unes sur les autres. Leur enchaînement et leur conjonction font apparaître des causes évidentes (alcool, vitesse, pneus usés, refus de priorité, …), et des causes plus profondes (véhicule puissant, SUV, jeune conducteur, fatigue, dévers de la chaussée, …) que l’on découvre en approfondissant les investigations.

La vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier (Antoine de Saint Exupéry)

Pour décortiquer les accidents graves et proposer des mesures de prévention efficaces, la Ligue contre la violence routière suggère l’instauration de groupes de travail ad hoc, installés auprès des gestionnaires de voiries et ayant une compétence reconnue pour analyser les accidents de la route dans toute leur complexité. À la fin des années 1990, la Suède et les Pays-Bas, pour maintenir une amélioration continue des résultats d’accidentalité ont adopté une approche systémique qui vise à rendre le système routier intrinsèquement sûr.

La vision zéro tué et blessé grave se déclinant en la division par 2 tous les dix ans du nombre de tués et de blessés graves, nécessite que la totalité des acteurs du système routier (voir le graphique ci-dessous) exerce leurs responsabilités avec rigueur et professionnalisme. La coordination indispensable de tous ces acteurs ainsi que la DISR doivent impérativement revenir sous la responsabilité du Premier Ministre, seul moyen d’assurer la fluidité des interfaces entre tous les acteurs. C’est le message et la proposition clé à notre nouveau Premier Ministre Michel Barnier pour qu’il puisse enfin relancer une vraie politique de sécurité routière en France et faire cesser ce bilan de guerre sur nos routes.

[1] Se référer à l’année 1926 est trompeur, en France il y avait 192.000 automobiles et aujourd’hui 45 millions, le réseau routier n’était pas comparable au nôtre actuellement.

État des lieux

Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :

Avec la mobilisation de tous, c’est possible !

Le bilan
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