Editorial de Pondération n°121 mai 2020

Chantal Perrichon – Présidente de la fédération nationale de la Ligue contre la violence routière

Dans cette épidémie de covid-19, comme en sécurité routière, nous trouvons les mêmes erreurs décisionnelles : priorité à l’économie sur la santé, experts écoutés sous condition ne pas dénoncer les insuffisances de l’État, préférence présidentielle de l’acceptabilité au détriment de la protection des citoyens.

Alors que les médias nous abreuvent en permanence de coronavirus, que la mort est omniprésente dans nos pensées et que l’opinion publique scrute, analyse, décortique les prises de paroles de nos responsables politiques, nous redécouvrons les approximations, les inexactitudes, les tromperies qui, au final, n’abusent personne. La saga du port des masques durant cette pandémie restera longtemps dans les mémoires comme le prototype même du mensonge d’État. Comment ne pas établir de parallèle entre la couardise de ministres successifs incapables de mettre en place le 80 km/h sur des routes qui totalisent deux tiers des tués, et les atermoiements pour contraindre les Français à un confinement total afin de sauver des vies ? Nier l’utilité des masques artisanaux, faciles à fabriquer chez soi, dans le but de dissimuler l’absence de prévention et l’incapacité à gérer les achats en masse, relève de l’aberration. La volte-face récente qui transforme le masque d’objet inutile sinon dangereux en outil obligatoire dans les transports en commun, dans les écoles, voire dans certains espaces publics embarrasse nos responsables ; ceux-ci sont même contraints, au prix de piteuses contorsions, de minimiser le bien-fondé de cette pratique : « les masques « alternatifs » ne sont pas aussi performants que les FFP2 … ils ne freinent le passage du virus que dans un sens, … ils risquent de faire oublier les gestes barrière, ils sont inefficaces si mal positionnés et dangereux si mal manipulés. » Serions-nous plus stupides que les Asiatiques ?

Ce refus de reconnaître ses erreurs dès le départ de la pandémie nous ramène inexorablement à la sécurité routière : quand, à l’étranger, les radars  traditionnels sont abandonnés au profit de contrôles banalisés et invisibles, nos fonctionnaires s’obstinent à déployer des radars tourelles, plus performants, plus inaccessibles aux délinquants désireux de les masquer ou, pire, de les endommager… Ces radars seraient certes parfaits s’ils n’étaient tout simplement sciés, abattus par des bandes de voyous qui plaident ensuite leur insolvabilité devant les tribunaux. De même que nous préférons les radars embarqués dans des voitures banalisées et les contrôles invisibles, nous privilégions le choix des masques artisanaux faciles à fabriquer pour l’ensemble des Français plutôt que des masques FFP2 introuvables. La prévention fait partie de notre ADN et c’est la raison pour laquelle la Ligue a cosigné une lettre ouverte adressée à Olivier Véran, le ministre de la Santé et des solidarités, dès le 19 mars pour exhorter le gouvernement à la généralisation du port des masques et la détection, puis l’isolement des personnes contaminées.

Au royaume de l’Absurdie tout est possible. Ainsi en 2013, après de longs débats au CNSR, le gouvernement prend un décret sur l’obligation pour tous les conducteurs de posséder un éthylotest chimique, alors que les experts estimaient que ce type d’éthylotest était inutile pour lutter contre l’alcool au volant (alcoolémie supérieure à 1,2 g pour 80 % des accidents mortels). Alors, pour concilier l’impossible, l’État décida que lors des contrôles par les forces de l’ordre, la non présentation d’un éthylotest ne serait pas sanctionnée… En 2020, ne s’oriente-t-on pas également vers le port obligatoire du masque sans sanction ?

En 2019, le président de la République, qui pensait trouver une manière « plus intelligente » de régler la question du 80 km/h sur les départementales, a contraint son Premier ministre, visiblement seul conscient de ses responsabilités, à reculer stoïquement face à la fronde d’une minorité de présidents de conseils départementaux, plus soucieux de leur électorat que des conséquences de leur opposition. Pourtant, les experts scientifiques du CNSR, à l’unanimité, dès 2013, avaient préconisé le passage à 80 km/h. A contrario, en 2020, le président de la République suit l’avis des experts du comité scientifique favorable au maintien du vote, en pleine pandémie, avec les conséquences que nous connaissons : « rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes » .

Aujourd’hui, nouveau revirement, ces mêmes experts qui recommandent d’attendre septembre pour la réouverture des établissements scolaires n’ont plus la cote. Grande est leur impudence quand ils écrivent dans leur rapport (1) : « si le risque de formes graves est faible dans cette population, à l’inverse, le risque de transmission est important dans les lieux de regroupement massif que sont les écoles » . Il faut être téméraire pour souligner qu’il s’agit d’un choix politique au détriment de la sécurité sanitaire. La méfiance s’est installée et le gouvernement paye maintenant sa désinformation pour dissimuler la pénurie de masques et de tests.

Ce confinement que nous subissons nous rend tous plus vigilants et attentifs à l’actualité.

Les journalistes qui ne papillonnent plus d’un sujet à l’autre, mais suivent heure par heure, le moindre fait nouveau, se font un malin plaisir de pointer les incohérences. Notre administration, comparée à celle des pays voisins, se voit ainsi critiquée quotidiennement pour ses retards, ses blocages de décisions urgentes par des strates de fonctionnaires qui justifient leur présence en paralysant le système. Face à cette inertie et aux appels des soignants, les initiatives foisonnent. Des groupes de citoyens se créent et mettent en place des solutions : ainsi en 17 jours, un consortium réunissant chercheurs, industriels, médecins et bénévoles a su adapter un masque de plongée grand public et le transformer en masque de protection pour le personnel hospitalier. Record battu tant pour l’innovation que la fabrication, la distribution et le mode d’emploi d’un nouveau matériel. En 17 jours un consortium adapte un masque de plongée pour lutter contre le coronavirus (site du CNRS)

Faudra-t-il créer un consortium, une organisation spécifique pour que les Éthylotests Anti-Démarrage, utilisés depuis les années 2000 dans les pays nordiques, soient enfin imposés par les tribunaux aux alcooliques ? Ce retard gravement préjudiciable pour éviter la récidive découle de la procrastination inhérente au statut de certains décideurs. Après des dizaines de réunions, des expérimentations à l’envi dans les départements, la décision est enfin prise
en janvier 2019. Un an après, dix départements n’ont toujours pas de centres agréés pour les installer, une poignée de départements les utilise, alors que 50 % des autres ne semblent pas au courant (2) … Plus simple de reprogrammer à Noël 2020 une nouvelle campagne de communication avec SAM. Les agences habituelles de la DSR doivent déjà y songer.

Une certitude après ces semaines de cafouillage, les valeurs que nous défendons en politique de sécurité routière sont celles qui auraient dû prévaloir depuis le début de cette épidémie : transparence, sincérité, campagnes d’explications convaincantes auprès des Français, efficacité décisionnelle après avis d’experts indépendants, évaluation rapide a posteriori des décisions. Le président de la République a fait vœu de se réinventer. Le nôtre sera de le voir suivre humblement l’avis des scientifiques spécialistes de la sécurité routière, domaine où les connaissances sont parfaitement établies, ce qui n’est, hélas, pas encore le cas de celui du covid-19.

Je dédie ce numéro de Pondération aux personnes qui durant cette période ont été contraintes de se déplacer sur les routes pour travailler et qui ont été tuées par des individus qui profitent du faible trafic pour s’autoriser toutes les prises de risque.


(1) Rapport daté du 20 avril, en ligne sur le site du ministère de la Santé depuis le 25, 42 p.

(2) D’après une instruction du directeur de Cabinet du ministre de l’Intérieur, Stéphane Bouillon, qui appelle les préfets à davantage se mobiliser sur ce sujet.

État des lieux

Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :

Avec la mobilisation de tous, c’est possible !

Le bilan
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