L’éthylotest antidémarrage : une idée qui avance …très, très doucement, néanmoins plus vite que la « boîte noire ».
Les éthylomètres anti-démarrage (EAD) ont été introduits, aux Etats Unis, en 1986. Le Comité interministériel de sécurité routière (CISR) du 25 octobre 2000 avait retenu l’idée d’installer un EAD sur les véhicules des conducteurs alcoolisés. Par ailleurs il avait décidé d’inciter les automobilistes verbalisés pour excès de vitesse de moins de 50 km/h par rapport à la vitesse autorisée à équiper leur véhicule d’un enregistreur de vitesse (« boîte noire »).
En 2004, la Haute-Savoie était pilote du premier programme en France de l’EAD. Le 14 mars 2011, la loi LOPPSI 2 permettait l’utilisation de l’éthylotest anti-démarrage comme alternative à la suspension du permis de conduire.
Le 12 mars 2019, le ministre de l’Intérieur autorise l’installation d’un éthylotest anti-démarrage pour remplacer la suspension du permis de conduire. Elle concerne les délinquants contrôlés avec une alcoolémie comprise entre 0,8 et 1,8 gramme d’alcool par litre de sang et contrôlés positifs pour la première fois, c’est-à-dire non récidivistes. En 2017, les forces de l’ordre ont constaté 123.926 délits d’alcoolémie soit 20,8% des délits routiers.
Cet historique montre que ce ne sont pas les bonnes idées qui manquent, mais le courage politique pour les mettre en œuvre. La lutte contre l’alcool au volant étant politiquement plus correcte que la lutte contre la vitesse (principale cause des accidents mortels), il est possible que nous voyions enfin l’application de cette mesure. Quant à la « boîte noire », elle est carrément enterrée bien qu’elle soit l’une des 5 priorités recommandées par l’European Transport Safety Council 1 (ETSC).
Le saccage des Champs Elysées est insupportable et condamnable. Le saccage des radars est tout aussi insupportable et condamnable. Comme le montre la courbe, l’effet du sabotage des radars s’accentue.
A notre connaissance, depuis plusieurs mois, la majorité des radars est toujours hors service. Selon les calculs de l’ONISR, sans ces dégradations, 30 vies supplémentaires auraient pu être sauvées chaque mois (voir le communiqué de presse du ministère de l’Intérieur du 28 janvier 2019), soit 150 depuis le début des manifestations des « gilets jaunes ». « Ceux qui ont détruit des radars portent le poids de ces morts » a dit Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière.
Cependant, ces saboteurs courent toujours, les radars qui ont épargné des milliers de vie ne sont toujours pas remis en état et nous attendons la mise en place des voitures radars banalisées. Certains malfaisants vont même jusqu’à imputer l’amélioration de la sécurité routière de l’année dernière à la dégradation des radars… On n’arrête pas les fausses nouvelles !
Il faut rappeler qu’en novembre 2013 les experts du Conseil national de sécurité routière, reconnus par la communauté scientifique, qui avaient proposé cette limitation à 80km/h avaient précisé qu’elle pouvait sauver 350 à 400 vies par an si elle était appliquée sur l’ensemble du réseau. Après 6 mois de mise en place dans un contexte très hostile, l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) corrobore cette projection. Par contre, si cette mesure n’est appliquée que partiellement les experts estiment qu’elle ne sauverait que 210 à 240 vies, soit 150 vies en moins.
Pour satisfaire le lobby pro-vitesse et les élus à la recherche d’un électorat populiste, nous craignons que le gouvernement ne propose aux élus locaux de ne plus appliquer la limitation à 80 km/h sur l’ensemble du réseau, mais seulement partiellement, là où ces derniers estimerons que c’est « acceptable », au mépris des connaissances accidentologiques. De ce fait, pour une meilleure acceptabilité électoraliste, la mesure serait affaiblie au prix de la vie de 150 personnes par an (voir « La lettre politique de Laurent Joffrin (Libération) Le crime routier » ci-dessous).
1 https://www.securite-routiere-az.fr/e/etsc/ L’ETSC agit comme une véritable ONG agissant directement auprès de la commission européenne. Son travail s’avère efficace grâce à un panel d’experts entourant une équipe de permanents.
La lettre politique de Laurent Joffrin (Libération) Le crime routier
Parlons franchement. Il est un domaine où le mouvement des gilets jaunes, par ailleurs légitime dans ses revendications sociales, est de toute évidence régressif, irrationnel et irresponsable : celui de la sécurité routière.Domaine circonscrit, certes, mais important : il met en jeu des vies humaines. Deux résultats brillants sont en effet à mettre à l’actif de la révolte : le recul annoncé du gouvernement sur la limitation de la vitesse à 80 km/h, recul partiel mais réel ; la honteuse et coûteuse destruction de 60% des radars destinés à détecter les infractions. Protestation démocratique ? Non : insurrection démagogique.
Contrairement aux réquisitoires scandaleux dressés contre la mesure par le lobby automobile, il ne s’agissait en rien d’affirmer «la domination de Paris sur les territoires» et encore moins «d’emmerder les Français» dans le but de «remplir les caisses de l’Etat». Avec un certain bon sens, les pouvoirs publics, dont c’est le rôle, ont seulement pour but de protéger automobilistes, passagers et piétons contre les méfaits de la vitesse sur la route. Rappelons au passage que ce ne sont pas les radars qui «remplissent les caisses de l’Etat», mais les automobilistes qui violent le code de la route et sont pour cela justement sanctionnés. S’ils veulent assécher cette manne supposée, il leur suffit de respecter la loi. Rappelons aussi que plus de la moitié des accidents mortels (55% en 2016, soit 1 911 morts) ont précisément lieu sur les routes secondaires visées par la limitation à 80 km/h.
Plus généralement, il est établi que la vitesse excessive est l’un des facteurs principaux de la mortalité routière. Elle n’est pas la seule et l’Etat a pris au fil des années des dispositions qui touchent à tous les domaines de la sécurité routière (vitesse, bien sûr, mais aussi actions pédagogiques, lutte contre l’alcool au volant, contrôles techniques, amélioration du réseau, ceinture de sécurité, permis à points, etc.) Le résultat de cette politique globale est spectaculaire. En 1972, le nombre des morts dépassait les 18 000. Au terme d’une politique constante menée par toutes les majorités successives, il est tombé à 3 259 en 2018.
Constatant que pour la première fois depuis un demi-siècle le nombre des accidents était reparti à la hausse (en 2014 et 2016), le gouvernement a décidé d’abaisser de 10 km/h la vitesse maximale autorisée sur quelque 400 000 kilomètres de routes secondaires. Il en espère une nouvelle diminution des décès par accident évaluée à quelque 400 vies sauvées par an. Selon le premier bilan de la sécurité routière, la mesure a épargné la vie de 116 personnes depuis sa mise en œuvre. Quant à la destruction des radars, toujours selon la même source, elle coûte environ 30 morts par mois.
Bien entendu, le lobby routier contestera ces chiffres – établi par les spécialistes reconnus – à l’aide des mêmes arguties byzantines dont il a usé pour s’opposer au fil des ans à toutes les mesures prises en faveur de la sécurité routière. Elles ne changeront rien à la conclusion globale de tous les experts sérieux : la vitesse tue, sa diminution épargne des vies. Autrement dit, la pression exercée par une partie des gilets jaunes sur le gouvernement pour favoriser les excès de vitesse n’est pas seulement archaïque et absurde. Elle est criminelle.