C’est la fin d’un paradoxe dont s’accommodaient les amateurs d’alcool : non, il n’y a pas d’effet bénéfique pour la santé à consommer de petites doses quotidiennes. Étonnant, car de nombreuses études ont mis en évidence un avantage apparent, notamment sur le plan cardiovasculaire, à boire un peu (deux verres maximum par jour) plutôt que pas du tout. En réalité, cela vient d’une erreur méthodologique fréquente, explique une étude publiée dans le Journal of Studies on Alcohol and Drugs.
En effet, lorsqu’ils comparent des petits buveurs et des abstinents, les chercheurs mêlent souvent indifféremment dans ce dernier groupe les anciens buveurs et ceux qui n’ont jamais touché une goutte d’alcool. «Cela crée un biais qui fait apparaître les buveurs modérés mieux qu’ils ne sont lorsqu’on les compare aux abstinents », explique au Figaro le Pr Tim Stockwell, directeur du centre de recherche sur les addictions à Victoria, au Canada. «En réalité beaucoup d’anciens buveurs étaient auparavant des buveurs modérés, et s’ils ont cessé de boire ou réduit leur consommation, c’est parce qu’ils n’allaient pas bien», ajoute-t-il.
Avec ses collègues américains et australiens, il a recensé 87 études apparemment solides sur les liens entre la consommation d’alcool et la mortalité. «Nous avons trouvé 65 études sur 87 qui faisaient cette erreur, détaille le Pr Stockwell. Nous avons aussi envisagé le cas des buveurs occasionnels ayant réduit leur consommation.» Ceci étant fait, la pseudo-protection de la consommation modérée d’alcool disparaît.
«Sceptique quant à des effets bénéfiques de l’alcool sur la santé»
Pas de protection, d’accord, mais au moins l’étude ne montre-t-elle pas d’effet néfaste à moins de trois verres par jour. «Je pense qu’il faut plutôt regarder nos résultats globalement et conclure qu’il y a là de quoi être sceptique quant à des effets bénéfiques de l’alcool sur la santé», rétorque le Pr Stockwell. C’est aussi l’avis de Philippe Amouyel, professeur de santé publique au CHRU de Lille: «Il y a deux ans, une étude basée sur la randomisation mendélienne (prenant en compte des caractéristiques génétiques, NDLR) a démontré que, quel que soit votre niveau de consommation d’alcool, même faible ou modéré, si vous buvez moins, c’est bénéfique pour votre santé.»
Finalement, le Pr Tim Stockwell et ses collègues estiment que pour mener de bonnes études sur le sujet, il faudrait peut-être utiliser les buveurs modérés (moins de 3 verres par jour) comme groupe témoin de référence, car les abstinents ont des particularités. Une étude menée en 2012 sous la houlette du Dr Nicola Shelton, de l’University College de Londres, avait mis en évidence des paramètres moins favorables à la santé dans le groupe abstinent d’alcool, avec notamment plus de tabagisme et un niveau socio-économique moins élevé que chez les buveurs modérés.
Contre-feux des alcooliers
L’industrie des boissons a rapidement mobilisé des scientifiques pour tenter de contrer l’impact de la publication du Pr Stockwell. Dès le 24 mars, soit deux jours après celle-ci, le site Internet just-drinks.com publiait un texte de chercheurs regroupés dans l’International Scientific Forum on Alcohol Research. Ils critiquaient la sélection d’études faite par Stockwell et l’oubli des travaux existants sur l’effet cardio-protecteur supposé de l’alcool.
«Nous nous y attendions et nous ne prenons pas leurs critiques très au sérieux, explique le Pr Stockwell. Nos conclusions invitent à douter des bénéfices d’une consommation modérée d’alcool sur la mortalité. Ceci n’exclut pas la possibilité d’une cardio-protection qui serait tout simplement annulée par le risque accru de cancers et d’autres maladies.»
Quelles leçons en tirer pour les buveurs d’alcool ? «D’abord, il faut être sceptique lorsque l’on entend dire qu’un peu d’alcool est bon pour la santé, explique Tim Stockwell. Ensuite, si l’on boit, il faut le faire avec retenue pour minimiser les risques d’accident et pour préserver sa santé.»