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Les menaces contre des élus franchissent un nouveau pas : « Les lâches prospèrent sur les réseaux asociaux »
La Croix – Pierre Bienvault , le 18/12/2018
Ces dernières semaines, plusieurs députés LREM ont été menacés devant leur domicile personnel. Comme si la violence, très intense sur les réseaux sociaux, trouvait désormais un prolongement dans la « vraie vie ».
Bruno Questel, député de l’Eure, a porté plainte contre des gilets jaunes venus le menacer devant chez lui, vendredi 14 décembre. / Christophe Morin / IP3
À chaque fois, c’est la même stupeur, le même désarroi. « Je ne comprends pas. J’ai toujours été ouvert au dialogue avec les gilets jaunes. » Voilà ce qu’ont répété en boucle les parlementaires LREM qui, depuis un mois, ont fait l’objet de menaces de mort ou d’intimidations très brutales devant leur domicile. Le dernier en date, Bruno Questel, député de l’Eure, a connu une soirée difficile vendredi 14 décembre. « À 1 km de chez moi, une opération avait été organisée, avec des panneaux au bord de la route, pour guider les gens jusqu’à mon domicile. Avec la consigne de klaxonner une fois arrivé sur place », raconte Bruno Questel, qui a alors prévenu les gendarmes.
« Des douilles de fusil de chasse »
Puis vers 22 h 30, le député a de nouveau entendu du bruit. « Avec mon épouse, nous sommes sortis et nous avons entendu six coups de feu, tirés par des gens qui sont partis en voiture. Nous avons alors ramassé des douilles de fusil de chasse. Et quelques minutes plus tard, une quarantaine de gilets jaunes sont arrivés. Et l’échange a été très tendu. Heureusement que les gendarmes étaient là », ajoute Bruno Questel, qui a porté plainte.
Une semaine plus tôt, c’est une députée de Dordogne, Jacqueline Dubois, qui a été visée : sa voiture et celle de son mari ont été incendiées juste devant chez elle. Le 21 novembre, une trentaine de gilets jaunes avaient manifesté devant le domicile de Carole Bureau-Bonnard à Noyon (Oise). Après avoir scandé des « Bonnard au placard », ils avaient suspendu symboliquement leurs gilets à la grille de l’habitation. Deux jours plus tard, la propriété viticole de la députée Mireille Robert près de Limoux (Aude) a, elle, été envahie par une quarantaine d’individus encagoulés qui ont enflammé des palettes avant de prendre la fuite.
« La prochaine fois, tu la prends entre les deux yeux »
D’autres parlementaires ont reçu des menaces très graves. C’est le cas de Benoît Potterie, député du Pas-de-Calais à qui, le 7 décembre, a été envoyée une balle de fusil accompagnée d’un message : « la prochaine fois, tu la prends entre les deux yeux ». Des menaces de mort aussi adressées à Élise Fajgeles, élue de Paris après une émission de télévision où elle n’avait pas été en mesure de donner le montant du smic.
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La violence en politique ? Certes, le phénomène n’est pas nouveau. Et il est assurément le fait de toutes les classes sociales. Durant ses cinq ans au gouvernement, l’ancienne ministre de la santé, Marisol Touraine, a ainsi subi une véritable campagne de haine sur les réseaux sociaux de la part de médecins mécontents. Certains parlaient même « d’aller chercher leur fourche au grenier ». « Parfois, les insultes ne suffisent pas. Lors de la loi travail, en 2016, des syndicalistes avaient investi brutalement ma permanence parlementaire. Et ils avaient menacé de s’en prendre à ma pharmacie », confie Catherine Lemorton, ancienne présidente (PS) de la commission des affaires sociales.
Un « ensauvagement » du Web et de la rue
Des insultes ou une permanence vandalisée… Les « risques du métier », disent certains députés aguerris, bien conscients toutefois qu’une nouvelle étape est franchie avec ces actes perpétrés devant le domicile personnel. Comme si, d’un seul coup, la violence du Web trouvait une traduction concrète dans la « vraie vie ». « C’est un prolongement malheureusement “naturel” », explique Arnaud Mercier, professeur en communication à l’université Paris 2 Panthéon-Assas. « Depuis plusieurs années, on voit se développer ce qu’on pourrait appeler “l’ensauvagement du Web” avec le règne du sarcasme, de l’égotisme, de l’injure et de la haine de l’autre. Et aujourd’hui, on assiste à un “ensauvagement” de la rue. La haine est devenue un mode d’expression comme un autre. Et c’est préoccupant, car quand on regarde l’histoire politique, on constate que les exactions physiques ont toujours débuté par une violence verbale et des appels à la haine », explique Arnaud Mercier.
Une violence qui, aux yeux de leurs auteurs, serait comme légitimée par la « violence » politique ou sociale exercée selon eux par les gouvernements. « Il y a une surenchère verbale avec cette idée que tout se vaut », dit Arnaud Mercier. « C’est notre rôle de député de tenir compte de la violence subie par nos concitoyens, estime Bruno Questel. Mais en aucun cas, je ne peux accepter qu’au nom de cette souffrance sociale, on en arrive à tirer des coups de feu devant le domicile d’un élu. »
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« Les lâches prospèrent sur les réseaux asociaux »
Chantal Perrichon
Présidente de la Ligue contre la violence routière
« Quand on se bat pour faire baisser le nombre de morts sur les routes, on est habitué à subir des discours virulents. Mais désormais, cela atteint des proportions inimaginables via ces réseaux que je qualifie d’asociaux et où prospèrent les lâches et les corbeaux. Il y a trois semaines, mon numéro de portable a été diffusé sur Facebook. Depuis, je reçois à toutes les heures du jour ou de la nuit des appels malveillants, des insultes, des menaces. Parfois, l’interlocuteur reste silencieux ou émet un grognement. C’est très dur à vivre quand votre numéro personnel sert ainsi d’exutoire. »