État des lieux
Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !
La Croix 16/12/2018 Pierre Bienvault
Même à 82 ans, le célèbre professeur continue de se battre contre l’insécurité routière et pour la santé publique.
Le combat d’une vie. Sans jamais se laisser abattre par les attaques personnelles et avec un seul moteur : la défense de l’intérêt général. Cet été, Claude Got a pas mal fréquenté les routes des Yvelines. Avec son épouse, Claude-Marie, à ses côtés. Un duo bien rodé et qui se connaît par cœur. Elle 87 ans et lui 82 ans. Toujours sur le pont dès qu’il s’agit de sécurité routière.
Le combat d’une vie. Alors cet été, sur les routes des Yvelines, Madame est venue avec son carnet et Monsieur son chronomètre. Et tous les deux se sont positionnés sur des belles portions de bitume avec au moins 500 mètres de ligne droite. Un terrain d’observation idéal avec une vue en surplomb pour chronométrer les voitures, sans relever les plaques d’immatriculation, et voir si elles respectaient la limite des 80 km/h. « 24,4 secondes, 18,2 secondes… » égrenait Monsieur tandis que Madame prenait note. « Au bout d’une centaine de voitures, on rentrait à la maison et on revenait le lendemain », raconte Claude Got, qui a ainsi pu constater que l’immense majorité des automobilistes se fichait comme d’une guigne de la limite des 80 km/h. Et on peut compter sur lui pour rédiger bientôt une nouvelle étude avec tous les chiffres nécessaires. Ceux qui, à coup sûr, feront hurler ces « automobilistes en colère » qui, sur les réseaux sociaux, étrillent avec une violence parfois sidérante « Got et toute sa clique d’experts ». Mais pas de quoi faire reculer le désormais octogénaire professeur.
En cet après-midi de novembre, il a l’air en pleine forme. Il a donné rendez-vous devant le Musée de Saint-Germain-en-Laye. « Une merveille, il faudra que vous veniez le visiter », avait-il conseillé au téléphone. Et sur le coup, on a bien cru qu’on allait deviser, trois heures durant, sur cette ancienne résidence royale qui abrite un musée d’archéologie.
Car Claude Got est bavard. Ce n’est pas nouveau, il l’a toujours été. Sécurité routière, tabac, alcool, sida… Il suffit de s’asseoir dans un café voisin puis de lancer un sujet… Et, hop, la « machine » Got se met en marche. Et elle ne s’arrête pas quand on l’interroge sur sa vocation médicale. « Au début, je voulais plutôt être vétérinaire. Mais à l’époque, l’école de Maisons-Alfort était bien plus dure que médecine. » Et le professeur Got de confier qu’il « était un lycéen plutôt fainéant… ». Un aveu en forme de tremblement de terre. Car on imaginait plutôt le petit Claude en premier de la classe.
Éternel bourreau de travail, hier comme aujourd’hui. « En fait, le déclic s’est produit en terminale. Jusque-là, les classes n’étaient pas mixtes. Mais en terminale, filles et garçons se sont retrouvés mélangés. Et très vite, je me suis fait trois copines. On était tout le temps ensemble, on faisait des grandes balades en forêt… »
Professeur à seulement 29 ans
Et c’est pour ne « pas avoir l’air d’un gugusse » devant la gent féminine que le garçon a délaissé la fainéantise pour le romantisme. Et s’est mis « à bosser » pour ne plus jamais s’arrêter, même une fois devenu, à l’hôpital de Garches, professeur d’anatomo-pathologie à seulement 29 ans. Garches et sa morgue hospitalière, située juste à côté de son bureau. Cette morgue où Claude Got a commencé à mesurer les ravages de l’insécurité routière. Loin des études chiffrées et des statistiques un peu froides. Juste en croisant ces parents venus reconnaître le corps de leur enfant tué quelques heures plus tôt sur la route.
« En principe, dans la vie, ce sont les enfants qui enterrent les parents. Mais avec la route, c’est très souvent l’inverse. »
C’est aussi là, à Garches, qu’en octobre 1970, un médecin de Renault est venu lui demander de l’aider à améliorer la conception des ceintures de sécurité. À l’époque, bien peu de Français acceptaient de la mettre. « Il y avait beaucoup d’idées fausses. Certains disaient que c’était dangereux de la porter, qu’en cas de choc, la ceinture allait casser des côtes. » Alors Claude Got s’est mis au travail sur des cadavres légués à la science. « J’ai étudié le niveau de résistance
du corps en cas de choc, et on a pu concevoir des ceintures avec la bonne largeur et rigidité. » Et c’est en partie grâce à ses travaux que le gouvernement a rendu leur port obligatoire en 1973. « Claude Got est un des médecins qui a le plus sauvé de vies au cours de sa carrière », confie Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre les violences routières.
Au cabinet de Simone Veil
Après cette première victoire sur les ceintures, tout s’est enchaîné. Claude Got s’est battu pour limiter la vitesse ou poser des radars au bord des routes. Tout en dénonçant les ravages de l’alcool au volant. Ce qui a fini par attirer, en 1978, l’attention de Simone Veil, alors ministre de la santé. « Elle m’a demandé de venir la voir puis d’entrer dans son cabinet comme conseiller. » Et c’est ainsi que l’anatomo-pathologiste de Garches s’est retrouvé dans les arcanes du pouvoir et qu’il a pu décoder les mécanismes de l’action politique.
Plus tard, cela lui sera bien utile pour faire avancer ses propositions en faveur de la Sécurité routière ou la santé publique. L’autre grand combat de sa vie, mené avec quatre autres médecins : Gérard Dubois, François Grémy, Albert Hirsch et Maurice Tubiana. La « bande de 5 » qui, dans ces années 1980 et 1990, ne cessa de dénoncer l’hécatombe provoquée par le tabac et l’alcool. Une croisade salutaire mais source d’innombrables attaques personnelles. Car la France, qui veut boire et fumer en paix, peut être tout aussi éruptive que celle qui aime conduire comme bon lui semble.
Du jus de pomme plutôt que du vin
« Ayatollah », « hygiéniste liberticide », « terroriste sanitaire »… Claude Got a tout entendu depuis quarante ans. « On m’a fait passer pour un gaillard qui n’avait jamais conduit et n’aime pas les plaisirs de l’existence. Ce qui me fait bien rigoler », assure celui qui a acheté plusieurs voitures dans sa vie. Avec deux critères intangibles. « Toujours prendre le modèle le moins puissant possible et surtout un coffre suffisamment grand pour mettre mon vélo et celui de ma femme. » Pour le reste, Claude Got n’a jamais fumé et avoue préférer boire du jus de pomme que du vin. Sans être non plus un total abstinent. « Sur le marché, on connaît un petit producteur d’Alsace et, chaque année, on lui prend deux cartons de six bouteilles qui nous font l’année. » Mais au-delà de son cas personnel, Claude Got fustige ce discours selon lequel la défense de la santé publique serait attentatoire aux libertés individuelles.
« C’est toujours le même discours : “On n’a pas besoin de maître à penser. On est libre de mourir comme on veut”, dit-il. On peut trouver cela séduisant. Mais la vérité, c’est qu’il s’agit d’un discours individualiste et libéral, qui fait passer au second plan la solidarité et l’intérêt général. Car le niveau d’information de la population sur les risques et sa capacité à changer de comportement est souvent directement lié à son niveau social. Laisser les gens tranquilles au nom d’une prétendue liberté, c’est laisser les plus fragiles encore plus démunis face aux risques. »
Des pulls légendaires
Voilà, la « machine » Got s’est mise à tourner à plein régime. Et dans ce café de Saint-Germain, on sent qu’il pourrait parler pendant des heures. Fidèle à lui-même. Aimable, disponible. Et vêtu d’un de ces fameux pulls, imperméable à toutes les modes. Ces pulls quasi légendaires qu’il a toujours portés, des cabinets ministériels aux plateaux de télé en passant par les salons de l’Élysée. Alors, comme cela nous trottait dans la tête, on a fini par lui demander par mail si, comme le voulait la rumeur, c’était bien son épouse qui les lui tricotait. « Son tricotage de mes pulls est une réalité », a répondu Claude Got qui, à l’oral, nous avait confié n’avoir jamais eu qu’une seule cravate dans sa vie. « Je l’ai mise quand je suis allé voir Simone Veil. Et puis cela a été fini, même quand je suis devenu son conseiller. Cela tracassait le directeur de cabinet qui, un jour, a dit à la ministre : “C’est quand même un problème, ce gaillard est toujours en pull ou en chemisette, même dans les réunions officielles.” Mais Simone Veil, qui était une dame d’une grande sagesse, lui a répondu qu’elle s’en fichait pas mal. »
Coups de cœur
Venise
Nous y sommes allés deux fois à vélo, ma femme et moi. Arriver sur l’eau, après avoir traversé la France, la Suisse, l’Autriche, le Trentin et la Vénétie est une émotion rare. La bicyclette permet de voir, de penser, de développer des capacités physiques qui font partie du plaisir d’exister.
Ludwig Wittgenstein
J’apprécie ce philosophe autrichien (1889-1951). « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence », disait-il. Selon lui, l’expression des connaissances doit être précise et simple et il faut constamment adapter le propos à l’interlocuteur. On est malheureusement dans une société où les décideurs sont capables de travestir le sens des mots.
Albert Camus
Il analyse des comportements sociaux et politiques, en associant sa culture philosophique à une référence simple : « Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment se conduire. » Je n’ai jamais intégré un système, j’ai apprécié des personnes qui savaient décider et j’ai tenté de les aider en développant et en transmettant des connaissances.
Bio express
5 mai 1936. Naissance à Sarreguemines, Moselle.
1970. Il devient chef de service d’anatomie pathologique à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches.
1978. Il entre comme conseiller technique dans le cabinet de Simone Veil, chargé des études médicales. L’année suivante, il intègre le cabinet de Jacques Barrot pour deux ans.
1988. À la demande du ministre Claude Evin, il remet un rapport sur le sida en 1988, qui inspirera une bonne partie de la politique de lutte contre la maladie.
1989. Avec quatre autres médecins, il rédige un important rapport sur la santé publique qui aboutira deux ans plus tard à la loi Evin sur l’interdiction de la publicité pour l’alcool et le tabac.
2002. Installation des premiers radars sur les routes. « Ils ont sauvé des milliers de vies. Et ceux qui se sont battus pour cette mesure disent qu’elle a été la plus importante de leur vie. »
État des lieux
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !