État des lieux
Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :
Avec la mobilisation de tous, c’est possible !
Un lundi de grisaille, Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur inaugurait le premier radar automatique fixe sous le pont sur la N 20 à La Ville-du-Bois (Essonne). C’était le 27 octobre 2003. Toujours en service, ce vaillant vétéran a crépité 33 171 fois en 2017. Quinze ans jour pour jour après, nous nous sommes habitués à croiser sur les bords des routes ses petits frères. Mais si à l’époque, cet outil de « contrôle automatisé » avait les faveurs de deux tiers des Français, depuis les proportions se sont inversées. Et cet été, après la mise en place de la limitation à 80 km/h, beaucoup ont été taggés, brûlés, vandalisés.
Ils ont pourtant indéniablement fait baisser la mortalité. « En 10 ans, entre 2003 et 2012, les radars ont permis de sauver 23 000 vies », assure la sécurité routière. Mais on reste loin de l’objectif de 2000 décès pour 2020 : 3 684 personnes ont été tuées sur les routes l’an dernier et l’effet radars semble s’essouffler. Sont-ils toujours opérationnels maintenant que les conducteurs peuvent s’équiper de mouchards ? Et localement, chaque appareil est-il placé au mieux ?
« Avec le déploiement de mobiles ou des leurres qui par principe ne sont pas localisés au même endroit, on assume d’installer des radars pour faire baisser la vitesse, pointe Emmanuel Barbe, le délégué interministériel à la sécurité routière. Chaque radar implanté sur des axes à fort trafic ne sera peut-être pas à l’endroit qui a totalisé le plus de morts. Mais c’est scientifiquement prouvé, moins les autos roulent vite et moins il y a de morts sur les routes. »
« En 2013, les Bonnets rouges ont détruit les radars bretons. La mortalité n’a pas bondi pour autant sur ces zones. C’est la preuve que les radars ne servent à rien. En tout cas pas à sauver des vies », tranche Pierre Chasseray, de l’association 40 millions d’automobilistes qui plaide pour qu’on les démonte.
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Au contraire, Chantal Perrichon de la Ligue contre la violence routière, réclame des appareils embarqués plus nombreux et plus efficaces. Particulièrement sur les nouvelles portions à 80 km/h. « Sinon nous allons manquer l’objectif de cette mesure. À savoir 400 morts en moins. »
Quinze ans n’ont pas suffi à éteindre les polémiques. Ni à répondre à toutes les questions que vous vous posez.
1) Ont-ils fait baisser le nombre de morts sur les routes ?
« Sans aucun doute, l’effet des radars a été et reste bénéfique », assure Laurent Carnis chercheur à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Iffstar). Avec son collègue Étienne Blais, il a calculé que, à la suite de leur installation, le nombre de blessés a baissé de 7,3 %. Mais le chercheur nuance : « Il semble que cet effet ralentisse. »
Les automobilistes ont appris à contourner le système. Les gendarmes parlent d’« effet splash » : les fraudes se déplacent vers les zones moins contrôlées. Alors les autorités ont dû innover. D’abord avec les « doubles faces, capables de flasher par-derrière pour pincer les deux-roues, qui n’ont pas de plaque à l’avant. Puis avec les dispositifs furtifs dans des voitures banalisées…
2) Sont-ils installés sur les routes les plus dangereuses ?
Les flasheurs sont logiquement positionnés sur les routes où l’on a enregistré le plus de tués ou de blessés. C’est la règle, mais pas la seule. On les installe aussi de manière préventive pour faire baisser la vitesse avant un virage en épingle par exemple. Et à proximité des ponts et tunnels ça crépite dur. « Parce que dans ces lieux sensibles, chaque accident peut entraîner une catastrophe, personne ne veut se retrouver avec un nouveau tunnel du mont-Blanc », explique-t-on à la sécurité routière.
3) Comment évalue-t-on leur efficacité ?
C’est le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) qui ausculte les radars. « On compare le nombre d’accidents à proximité de la zone contrôlée 5 ans avant sa mise en service et 5 ans après », explique-t-on à la sécurité routière. Oui, mais selon l’analyse de notre cellule data, les données étant très lacunaires, ces évaluations sont à prendre avec des pincettes.
4) Qui décide de leur implantation ?
Ce sont les préfets qui proposent l’implantation d’un nouveau radar ou le déplacement de celui-ci dans son département. À la direction de la Sécurité routière de valider ce choix.
5) Y a-t-il des routes dangereuses sans radars ?
« Les axes où l’on meurt le plus ne sont pas ceux que l’on pense ! souligne l’accidentologue Claude Got. Une belle nationale toute droite avec une bonne visibilité rassure les automobilistes, mais la mortalité est plus importante sur ces belles routes qui sont très passantes. » La Sécurité routière le sait et aura donc tendance à les truffer de « flasheurs », plutôt que de les répartir sur une route de montagne.
6) Pourquoi en mettre sur les autoroutes ?
C’est l’un des reproches des antiradars, « la preuve, selon Pierre Chasseray, de l’association 40 Millions d’automobilistes, que ces moyens de contrôle sont surtout des moyens de racket. » Par usager, le risque d’accident est plus faible que sur une nationale ou une départementale, mais le trafic très important a un effet multiplicateur. On y installe donc ces instruments de contrôle pour réduire la vitesse.
7) S’ils ne font pas leurs preuves, sont-ils déplacés ?
En fait, chaque année, une poignée de flasheurs seulement sont désactivés ou déménagés, presque toujours quand on crée un rond-point ou des dos-d’âne qui obligent à ralentir. Notre enquête montre pourtant qu’il y a parfois plus d’accidents autour de certains radars qu’avant leur implantation. Ne seraient-ils pas plus efficaces ailleurs ?
8) Font-ils baisser la vitesse ?
Oui. Entre 2002 et 2012, ceux qui roulent 40 km/h au-dessus des limites autorisées ont quasi disparu. La vitesse moyenne a plongé, passant de 89,5 km/h à 79,3 km/h, ont calculé les chercheurs Laurent Carnis et Étienne Blais. Mais il semble que les Français ont un peu réappuyé sur le champignon depuis.
En 2016, par rapport à 2011, le compteur moyen avait grimpé de 6 km/h sur les autoroutes. « On est face à l’effet saut de kangourou, pointe Laurent Carnis. Parce qu’ils connaissent l’emplacement des radars sur leur trajet quotidien, parce qu’ils sont signalés sur leur téléphone, beaucoup ralentissent dans la zone de contrôle puis foncent après. »
9) Combien rapportent les radars ?
En 2017, les recettes se sont élevées à 1,013 milliard d’euros. Selon le projet de loi de finances, l’État pense empocher 1,23 milliard d’euros en 2019. Soit + 56 % en quatre ans ! Les autorités prévoient que la modernisation du parc avec des engins plus performants rapportera gros.
Sans compter que, sur le réseau passé de 90 à 80 km/h, le nombre d’amendes devrait bondir. Autre source de revenu : les étrangers verbalisés en France, de plus en plus nombreux à être contraints de payer leurs prunes, grâce à des accords internationaux.
10) Où flashe-t-on le plus ?
Les dix radars les plus « performants » sont tous situés sur des autoroutes. Le champion toutes catégories se trouvant en Haute-Savoie, sur l’autoroute A40, dans le sens Chamonix-Mont-Blanc – Mâcon. Il a crépité… 125 074 fois en 2017. Soit l’impressionnante moyenne de 340 fois par jour ! Il est suivi d’un radar installé en Meurthe-et-Moselle sur l’A31 (120 991 dossiers) et d’un autre sur l’A10 dans l’Essonne. À l’inverse, le moins actif, sur la D 534 au niveau de Lamastre (Ardèche), n’a flashé qu’une seule fois en 2017 !
11) Où va l’argent ?
L’an dernier, 91,2 % des recettes sont allées à la lutte contre l’insécurité routière (soit 924,5 millions d’euros), assurait cette semaine le ministère de l’Intérieur. Le reste désendette l’État. Mais dans un rapport publié en mai, la Cour des comptes constate que si, certes, la majorité de l’argent a bien été affecté à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et aux collectivités locales, rien ne dit qu’elles ont effectivement utilisé ces sommes pour rendre les routes plus sûres. Exception notable : les recettes issues du 80 km/h. La loi de finances prévoit qu’elles seront affectées aux hôpitaux spécialisés dans la prise en charge des accidentés.
12) Combien de points font-ils perdre ?
En 2017, 9 343 729 points ont été perdus pour excès de vitesse. Mais ces chiffres faramineux font oublier que 80 % des automobilistes ont tous leurs points.
13) Combien de nouveaux radars seront installés ?
L’État table sur 4 700 radars automatiques en service fin 2019 (feux rouges et passage à niveau compris). Ce n’est pas beaucoup plus qu’aujourd’hui. Mais il faut ainsi s’attendre à une avalanche de radars autonomes, de cabines « double sens » ou « double face », mais aussi à l’élargissement de la privatisation des radars mobiles.
On attend aussi l’apparition des radars super performants : les tourelles. À 4 m de haut, ce qui les rendra aussi plus difficile à couvrir de peinture, ces engins sont capables de détecter 32 véhicules en même temps, sur huit voies différentes. Ils seront également capables de détecter le non-respect des distances de sécurité, le dépassement par la droite, le défaut de port de la ceinture ou encore l’usage du téléphone au volant.
14) Où roulent les radars mobiles conduits par des « chauffeurs privés » ?
Aujourd’hui les « mobiles » pilotés par des agents privés sillonnent toute la Normandie. Dix sont déployés, quinze le seront à la fin de ce mois, vingt d’ici la fin de l’année. Ces armes anti-excès de vitesse devaient arriver rapidement sur toutes les routes de France mais, sans être à l’arrêt, le dispositif est sûrement un peu ralenti depuis qu’il est visé par une plainte d’Anticor pour favoritisme, avec l’ouverture d’une enquête au Parquet national financier (PNF).
15) Un radar peut-il provoquer plus d’accidents ?
Le maire de Linas (Essonne) s’était offusqué il y a trois ans des carambolages causés, selon lui, par deux radars de feu sur la N 20. Il avait donc installé une signalisation pour alerter les automobilistes. « L’objectif n’est pas d’avoir moins de tôles froissées, mais moins de victimes tuées ou de blessés graves. Ce qu’on obtient en réduisant les vitesses d’impact », commente la Délégation à la sécurité routière. « On ne peut entrer dans une logique où l’on dirait que des outils de mesure de vitesse pourraient être à l’origine d’accidents », s’agace Emmanuel Barbe.
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