Faute d’un ralentisseur dans son camion, le chauffeur se sacrifie. La ligue intervient.

Le 8 septembre 1994, un chauffeur routier de 30 ans, au volant d’un tracteur Renault appartenant à un tractionnaire – une petite entreprise –, tire la semi-remorque d’une grosse société de transport. Il charge 22 t de fromage dans un établissement de Villefranche-de-Rouergue et part les entreposer en Normandie, à 700 kilomètres de là. À la sortie de Villefranche, il emprunte la route départementale 922 et se dirige vers Figeac. C’est une descente longue de 6 km, avec une pente moyenne de 7 %. À l’entrée de Figeac, elle vire à droite pour passer sous un pont de chemin de fer. À 50 m du pont, l’ensemble routier circule à vitesse normale.

Éviter un massacre
Passé le pont, le chauffeur s’engage dans l’avenue Émile-Bouyssou, qui présente elle aussi une pente importante. Soudain, le convoi prend de la vitesse. Le chauffeur perd la maîtrise de son véhicule. Il se déporte vers la gauche afin d’éviter les véhicules qui attendent à un feu de signalisation. Il allume ses phares, bloque son avertisseur.  Debout  dans  sa cabine, il  fait  de  grands  gestes  pour  signaler  sa  situation  de  détresse. Malgré une manœuvre d’évitement, il percute deux véhicules venant en sens inverse. Il continue sa course folle mais ne peut éviter un piéton qui marche sur le trottoir de gauche: blessé, l’homme devra subir une amputation.

L’ensemble routier se trouve maintenant sur le pont qui franchit le Célé. Face à lui, la rue Gambetta, une artère réservée aux piétons, très fréquentée en ce jour de rentrée scolaire. Pour éviter un massacre, le chauffeur tente de virer à droite. Mais la vitesse prise par son camion empêche cette manœuvre. Le véhicule s’encastre dans l’immeuble de la maison de la presse. Le chauffeur meurt écrasé par son chargement.
Les pompiers maîtrisent rapidement l’incendie qui s’est déclaré dans la cabine.
Un juge d’instruction, saisi de l’affaire, ordonne l’expertise de l’ensemble routier. Un expert judiciaire, un ingénieur et un technicien des Mines s’attellent à la tâche.

Leur conclusion est que l’effcacité des freins de la semi-remorque était insuffsante. Le directeur de l’agence propriétaire de la semi-remorque est mis en examen et envoyé  devant  le  tribunal  correctionnel.  La Ligue  et  la  Fédération  des transports  CFDT  se constituent partie civile auprès de la famille du chauffeur. Lors de l’audience du tribunal, le 8 janvier 1998, le prévenu sort un «expert» de son chapeau. Celui-ci, aidé par un matériel sophistiqué (grand écran, diapositives, documents pédagogiques édités par les constructeurs…), sème le doute sur le travail réalisé par les experts nommés par le juge d’instruction. Le tribunal ordonne un supplément d’enquête.
Une nouvelle expertise est commandée, qui conclut que le système de freinage de la semi-remorque n’est plus en cause. Elle attribue la perte de contrôle du camion au chauffeur: les freins ont chauffé, il aurait dû utiliser le frein moteur plus tôt. En 
juin 2000, l’affaire revient devant le tribunal correctionnel. Le parquet, en charge du  réquisitoire, affiche moins de certitude. «Nous avons l’insatisfaction de ne pas comprendre cet accident», dira la substitut du procureur. Le directeur est relaxé.

Le ralentisseur: un équipement indispensable
Cet accident, nous le savons aujourd’hui, aurait pu être évité si le camion avait été équipé d’un ralentisseur. Dans le cadre de sa mission d’enquête après l’accident, le  CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) de l’entreprise propriétaire de la semi-remorque a expérimenté un ralentisseur hydraulique. Il a emprunté un véhicule Scania muni de ce dispositif et chargé une semi-remorque dans les mêmes conditions (22 t de fromage). C’est le secrétaire du CHSCT, chauffeur routier lui-même, qui a fait une première fois le parcours Villefranche-de-Rouergue-Figeac au volant de cet ensemble, sans se servir du ralentisseur. Il a constaté à l’arrivée que les freins du véhicule étaient très chauds. Il a ensuite refait ce parcours en
utilisant le ralentisseur. Résultat: malgré la longue descente, il n’a pas eu à se servir 
des freins ! Démonstration éclatante.

Le ralentisseur ne pèse que 160 kg. C’est un poids supplémentaire négligeable au regard de la masse de l’ensemble tracteur, semi-remorque, chargement. Son coût est amorti en trois ans, compte tenu de la forte baisse de maintenance sur les freins mécaniques. Devant ces arguments, l’entreprise a décidé d’équiper tous ses véhicules  neufs de ce dispositif. À l’époque, cependant, elle a dû se rapprocher d’un constructeur étranger, faute de disponibilité du matériel chez le constructeur français.
Au-delà de l’absence de réponse de la justice sur les causes fautives de l’accident, l’action du secrétaire du CHSCT, par ailleurs membre actif de la Ligue, a été exemplaire, puisqu’elle a abouti à imposer l’installation de ralentisseurs sur l’ensemble des véhicules de ce gros transporteur.
Le 6 décembre 1994, deux mois après l’accident de Figeac, un routier s’est trouvé dans la même situation en Andorre et a tué neuf personnes en pénétrant dans 
une  rue  commerçante.  Deux  situations  identiques  ont  généré  deux  réactions  différentes, mais, dans les deux cas, les conséquences en sont insupportables.
Il est inadmissible que les chauffeurs aient été mis devant cette seule alternative: foncer dans une rue pleine de monde ou s’écraser contre un mur. Autrement dit: il est inadmissible que, sur ces véhicules lourds et difficiles à contrôler, on néglige d’installer des équipements de sécurité connus pour leur efficacité, tels les ralentisseurs.
À propos du geste du chauffeur de Figeac, le secrétaire du CHSCT a déclaré: «Quand tu fais ça, tu sais que tu vas y laisser ta peau, tu sais que la charge va t’écraser dans ta cabine. Mais t’as pas le choix, c’est ça ou toute ta vie tu te sentiras un assassin.»
Toute la population de Figeac se souvient du geste héroïque de cet homme
 .

État des lieux

Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :

Avec la mobilisation de tous, c’est possible !

Le bilan
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